Il est de notoriété publique que les achats du temps des Fêtes seront plus difficiles, cette année, en raison des problèmes qui grèvent la chaîne d’approvisionnement. Plusieurs produits convoités, comme les consoles de jeux vidéo, les jouets, les vêtements et les souliers, ne seront disponibles qu’en petites quantités. Et si les consommateurs sont assez chanceux pour trouver le jouet rêvé pour leur enfant, il se peut qu’il coûte plus cher. Mais que se passera-t-il l’an prochain? La situation va-t-elle s’améliorer en 2022?
Selon Panos Kouvelis, directeur du Boeing Center for Supply Chain Innovation, à l’Université Washington, à Saint-Louis, la réponse est peut-être, mais pas tout de suite.
En février 2020, soit un mois avant que l’Organisation mondiale de la santé ne déclare un état de pandémie en lien avec la crise de la COVID-19, M. Kouvelis a anticipé que le coronavirus provoquerait des perturbations des chaînes d’approvisionnement pendant deux ans.
Sa plus récente prédiction est un peu plus optimiste. Selon le chercheur, les problèmes qui touchent les chaînes d’approvisionnement, y compris des pénuries de produits et des goulots d’étranglement logistiques, se poursuivront jusqu’à la mi-2022. L’industrie automobile ne retombera sur ses pieds qu’avant 2023.
Au dire du spécialiste, ces prévisions s’appuient sur plusieurs facteurs:
- D’abord, l’accumulation excessive par les compagnies: M. Kouvelis estime que certaines des commandes qui engorgent présentement le système mondial découle des entreprises qui, confrontées à de longs délais de livraison et à des peurs entourant un possible rationnement, passent des commandes supplémentaires dans l’espoir d’obtenir les produits et matériaux désirés. Plusieurs grandes entreprises disposant de plus de ressources, dit-il, ont rempli des entrepôts avec des stocks excédentaires, et certains de leurs stocks an attente sont à bord de cargos qui attendent l’autorisation de prendre la mer. Ces commandes excessives et fantômes ajoutent de la pression sur un système déjà vulnérable, mais M. Kouvelis estime que les acheteurs lèveront le pied au cours des prochains mois, à mesure que la situation logistique va s’améliorer.
- La nouvelle année chinoise: les usines et ports de Chine vont ralentir leurs activités pendant deux semaines, au début de février, ce qui ajoutera de la pression sur les chaînes d’approvisionnement.
- Les ports de Los Angeles et de Long Beach, en Californie, deux des ports les plus achalandés du monde, sont passés à une activité 24 heures sur 24. En octobre, le président américain Joe Biden, en compagnie de responsables de ports, d’entreprises et de syndicats, a annoncé un plan pour renforcer les chaînes d’approvisionnement en passant à ce fonctionnement constant. Ce faisant, en renforçant également les services de transport par camion et par rail, la congestion portuaire devrait diminuer. Cependant, le manque de chauffeurs de camion va ralentir cette reprise.
- Retour à la normale dans les usines du Vietnam, de la Malaisie et de la Thaïlande: ces pays, qui produisent la majorité des vêtements, des souliers et des jouets vendus aux États-Unis, ont été particulièrement touchés par le variant Delta du virus de la COVID-19 cet été, forçant les entreprises à réduire, voire cesser leurs activités. La situation s’améliore, mais l’accroissement de la production n’aura pas d’effet sur l’Amérique du Nord avant l’an prochain.
« Nous espérons que dans les six premiers mois de 2022, la situation portuaire et les efforts pour accroître la capacité de transport par camion et par rail s’amélioreront de façon substantielle. Si cela se produit et que la pression sur le système diminue, la perspective sera meilleure aux alentours de l’été », mentionne M. Kouvelis.
Encore des problèmes à l’horizon?
Il existe cependant un facteur qui pourrait faire s’écrouler une bonne partie du fragile édifice: la crise énergétique en Chine. En ce moment, la hausse des prix de l’énergie a forcé plusieurs compagnies chinoises, qui ne pouvaient jusqu’à récemment pas augmenter les prix en raison d’une limite imposée par l’État, à imposer des restrictions sévères à leurs clients du secteur manufacturier.
Il en a résulté que ces usines et autres installations ont dû réduire leurs activités dans des proportions pouvant atteindre 40 %. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que ces fermetures aient un impact sur la quantité de produits exportés en Amérique du Nord. Pékin a maintenant fait sauter les limitations en matière de hausses de prix, particulièrement pour les compagnies produisant du ciment, de l’acier et du papier, mais cela veut dire que les augmentations seront transférées aux consommateurs, mentionne M. Kouvelis.
« Cette crise énergétique pourrait se résoudre dans un mois ou deux. Mais si la Chine est frappée par un hiver particulièrement rude et que la demande en énergie demeure importante, ils devront réduire davantage leurs capacités manufacturières. »
Toujours selon M. Kouvelis, les effets de cette crise de l’énergie en Chine n’ont pas encore touché terre, en quelque sorte, en Amérique du Nord, justement en raison du retard dans le déchargement des conteneurs sur la côte ouest. Mais dans le courant du prochain mois, les consommateurs américains, et possiblement canadiens, seront confrontés à des pénuries plus importantes et des pris plus élevés.
Quelques espoirs chez les Américains
Pour résoudre la crise, la Maison-Blanche et le Congrès, aux États-Unis, sont lentement, mais sûrement, sur la bonne voie, juge M. Kouvelis.
Non seulement les activités portuaires, dans les grands ports de l’Ouest, se déroulent-elles maintenant sans relâche, mais l’adoption du plan de 1000 milliards de dollars dédiés aux infrastructures, ces derniers jours, permettra de réparer les routes, ponts et autres infrastructures de transport dont le piteux état ralentit aussi le trafic de marchandises.
Et si les États-Unis pourraient réduire leurs tarifs commerciaux avec l’Europe, la question de la Chine, tout aussi économique que politique, signifie que certains facteurs pourraient continuer de ralentir les échanges commerciaux avec le géant asiatique pendant encore plusieurs années.
M. Kouvelis en a également contre la dépendance des entreprises américaines envers les médicaments, piles et semiconducteurs fabriqués en Asie, tous des domaines essentiels, mais qui sont devenus vulnérables en raison de la pandémie de COVID-19. « Voilà des décennies que les problèmes s’accumulaient », juge-t-il.
Le spécialiste appelle à la création de chaînes d’approvisionnement régionales, particulièrement en ce qui concerne les produits essentiels. Si tous les biens ne seront pas produits aux États-Unis, les compagnies américaines seront davantage portées à s’approvisionner chez leurs voisins canadien et mexicain, estime M. Kouvelis.
Si personne ne sait quand les chaînes d’approvisionnement seront de nouveau entièrement fonctionnelles, M. Kouvelis est persuadé d’une chose: l’expérience des deux dernières années influencera leur gestion et leur développement pour les années à venir.