Les jeunes sont souvent critiqués pour leurs « choix irresponsables » avec l’argent. Mais le vrai problème n’est pas de savoir s’ils peuvent manger trop de rôties à l’avocat. Un peu partout dans le monde, y compris en Australie, les jeunes adultes font face à un marché de l’emploi incertain, à des frais de scolarité en hausse et à des prix stratosphériques dans l’immobilier. Avec l’arrivée des applications permettant « d’acheter maintenant, mais payer plus tard », la situation peut devenir encore plus complexe.
De fait, impossible de ne pas, éventuellement, devoir emprunter, ne serait-ce que pour acquérir une propriété immobilière. Et des chercheurs australiens estiment qu’avec la multiplication des services donnant rapidement accès au crédit, parfois en quelques minutes seulement, cet endettement est de plus en plus présent.
Ces scientifiques ont interrogé une trentaine d’Australiens, âgés de 18 à 29 ans, entre 2020 et 2021. Les questions portaient notamment sur l’accès au crédit et sur leur vision des différents types de dettes.
Selon les participants, s’endetter est nécessaire pour « vivre une vie acceptable » dans l’immédiat, en plus de pouvoir planifier l’avenir. Comme l’indique Steph, un étudiant universitaire de 22 ans, « les dettes importantes, comme l’hypothèque, sont des choses que je juge être des dettes utiles. Cela a du sens parce que cela vous permet de progresser, et qu’il y a encore une équité dans ce que vous faites. Cette dette ne vous taraude pas autant que d’autres types d’emprunt ».
Les répondants ont également établi des distinctions à propos des sentiments provoqués par l’endettement, et comment ces emprunts sont « approchables », c’est-à-dire, en un sens, faciles d’accès. Pour eux, la dette à court terme peut bien ne pas être « bonne », mais ils jugent aussi que cela fait partie de la possibilité de pouvoir acheter les produits et vivre les expériences associées avec la jeunesse.
Toujours pour les participants, l’application AfterPay, où l’on rembourse le montant emprunté en quatre versements, fait partie de la vie de tous les jours. Comme le dit Alexa, une étudiante universitaire de 23 ans, « AfterPay, c’est pour toutes ces petites choses que je veux et que je ne veux pas payer d’un coup ».
Le service a aussi été décrit comme comportant peu de risques, et quasiment comme une méthode amicale d’acheter des produits. Cela était particulièrement prononcé lors de comparaisons avec les services bancaires traditionnels. Pour Alice, une associée aux ventes de 21 ans, cela se décrit comme suit: « AfterPay, c’est un peu « Ah, payez seulement cela en quatre versements et ce sera à vous. Nous allons vous l’envoyer. » Mais les banques sont plutôt « Si vous ne remboursez pas, vous allez accumuler tellement d’intérêt, et cela sera pourri, et nous enverrons la police chez vous, et vous serez triste. ». »
Comme commander une pizza
Les personnes interrogées ont attribué une partie de cette « amabilité » au processus permettant d’accéder à de l’argent ou à des biens. Mia, une assistante juridique de 21 ans, a décrit en ces termes le fait de demander un prêt de faible importance sur l’application Nimble: « Lorsque vous demandez de l’argent, vous pouvez avoir le suivi en tout temps. L’application Nimble ressemble beaucoup au fait de commander une pizza chez Domino. À l’opposé, demander une carte de crédit via une application bancaire, ça n’y ressemble en rien. Ils m’envoient des lettres et même ouvrir le courrier me terrifie, il n’y a jamais rien de bon qui arrive par la poste. »
La nature numérique et facile d’accès de ces services d’emprunt est étroitement liée à la façon dont les jeunes interagissent avec de l’information, de façon plus générale. Ainsi, il y a une certaine familiarité et un confort dans la façon dont ils fonctionnent.
Toujours selon Mia, « c’est positif, ce n’est pas inquiétant, c’est informatif, c’est instantané. La seconde où l’argent est envoyé, je reçois un courriel de remerciement et une notification sur l’application. C’est un peu comme « il vous reste tant de paiements à faire, voici combien vous avez remboursé, vous aurez tout payé à cette date ». Je n’ai rien de tout cela avec ma carte de crédit ».
Tactiques familières
Les participants ont aussi évoqué la façon dont des services comme AfterPay et des applications d’emprunt à court terme utilisent des tactiques semblables à celles des médias sociaux pour susciter un engagement plus important, et faire en sorte que l’expérience semble informelle, voire sociale.
Cela comprend des rappels d’événements passés, et des décomptes en vue de moments importants. Il y a aussi un aspect « jeu vidéo », comme des récompenses pour des remboursements anticipés.
Les jeunes qui ont participé à l’étude ont d’ailleurs reconnu qu’il s’agissait de tactiques manipulatrices.
Et la suite?
Si les participants aux travaux considèrent l’endettement comme une nécessité, ils sont aussi au fait qu’ils disposent de certains choix, dans le cadre de ce système. Ils préfèrent donc faire affaire avec des fournisseurs ou des plateformes qui semblent moins menaçantes, particulièrement en raison du fait que les services du type « achetez maintenant, payez plus tard » donnent parfois l’impression de ne pas être endetté.
Il existe cependant le besoin d’un meilleur encadrement des façons dont ces produits sont mis de l’avant. Il devrait toujours être mentionné qu’il s’agit d’un endettement, et non pas seulement d’un mode de paiement, affirment les chercheurs.
Et toujours selon ces derniers, plutôt que de « blâmer » les jeunes pour leurs habitudes en matière de consommation, il est nécessaire de mieux comprendre l’économie et la société dans lesquelles ils vivent et travaillent. En plus de devoir comprendre comment l’endettement est ultimement inévitable pour les gens travaillant pour de petits salaires, dont la sécurité d’emploi est faible, et qui risquent de perdre leur logis.