Ce jeudi, quatre représentants de l’industrie pétrolière ont comparu devant les élus, à Washington. Une comparution qui a beaucoup été comparée à une audience similaire, il y a 27 ans, de hauts dirigeants de l’industrie du tabac. Pourquoi cette comparaison?
En tant que PDG de la compagnie ExxonMobil, Darren Woods, un de ceux à avoir été sur la sellette jeudi, a reçu un salaire de 15,6 millions$ l’an dernier pour diriger la plus puissante compagnie pétrolière de l’histoire. Mais au-delà de ses revenus, c’était son influence sur la société qui était en cause devant le comité de la Chambre des représentants. Son influence dans une stratégie de longue date des grandes compagnies pétrolières (en anglais, Big Oil) pour échapper à leurs responsabilités légales et financières dans la crise climatique.
À ses côtés, Michael Wirth de Chevron, David Lawler de BP et Gretchen Watkins, de Shell. De même que Suzanne Clark, de la Chambre de commerce et Mike Sommers, du groupe de pression American Petroleum Institute. Certains des élus avaient annoncé vouloir les questionner pour leur « campagne à grande échelle et de longue date pour diffuser de la désinformation sur le rôle des carburants fossiles dans le réchauffement climatique ».
Le parallèle avec le tabac (ou Big Tobacco) est le scénario du pire de leurs conseillers en relations publiques. Le 14 avril 1994, les dirigeants des sept plus grandes compagnies de tabac des États-Unis étaient apparus devant le sous-comité de la Chambre des représentants sur la santé et l’environnement. Chacun avait témoigné sous serment que, non, ils ne croyaient pas que la nicotine créait la dépendance.
CNN avait diffusé l’audience en direct et « Big Tobacco » était instantanément devenu la source de moqueries —et une cible de choix pour les avocats. Une photo des PDG, la main droite levée alors qu’ils prêtaient serment, avait fait la Une du New York Times, générant encore plus de couverture médiatique.
Multiples poursuites
Cinq semaines après cette audience, une poursuite était déposée devant un tribunal, la première de ce qui deviendrait une longue série qui, des années plus tard, culminerait en une pénalité de 206 milliards $ contre ces compagnies — et des dommages permanents à leur image publique.
La poursuite contre les compagnies de tabac « avait pour prémisse une simple notion », explique Mike Moore, le procureur général du Mississippi, qui avait lancé l’affaire: « vous avez causé la crise sanitaire, vous payez », en remboursant les autorités pour les coûts que la cigarette avait entraînés sur leurs systèmes de santé.
Il suffit de remplacer « crise sanitaire » par « crise climatique » et on retrouve le même argument, utilisé ces dernières années par le Massachusetts, le Minnesota, New York et des dizaines d’autres États et gouvernements locaux, dans leurs poursuites contre des compagnies pétrolières qui cheminent ou ont cheminé devant divers tribunaux.
Et de la même façon que les compagnies de tabac ont été reconnues coupables d’avoir menti pendant 40 ans sur ce qu’elles savaient des dangers du tabagisme, c’est aujourd’hui cette même accusation qui pend au nez des compagnies pétrolières: celle d’avoir menti pendant des décennies sur ce qu’elles savaient sur les dangers des carburants fossiles. Leurs propres scientifiques ont souvent prévenu leurs hauts dirigeants —et ceux-ci ont malgré tout poursuivi sur la même trajectoire.
La conversation sur le climat porte d’ordinaire sur les gouvernements et leurs politiciens, tandis que les compagnies dont les produits causent le problème —et leurs dirigeants— restent dans l’ombre. Cette audience devant le Congrès américain était une rare occasion de les amener sous les projecteurs.
C’était en fait, selon le New York Times, « la première fois » que ces dirigeants étaient amenés à témoigner sous serment, du rôle de leurs compagnies dans ces campagnes visant à tromper le public sur la réalité des changements climatiques. Lors de l’audience de six heures, aucun ne s’est aventuré à nier les changements climatiques mais aucun non plus n’a accepté de promettre de cesser de dépenser de l’argent dans des campagnes s’opposant aux politiques de réduction des gaz à effet de serre.