Prendre son temps est une denrée rare au cinéma, surtout que de le faire avec doigté n’est pas donné à tous. C’est le cas ici avec Antlers, une proposition qui se dit horrifique et qui s’assure de lorgner autour des clichés en ne plongeant que rarement en leur cœur, culminant en une sublime finale qui s’avère probablement plus intéressante que tout le film en soi. Une autre rareté dans le septième art.
Rien ici pour révolutionner quoique ce soit, bien qu’il y ait juste assez d’audace pour désorienter les spectateurs avec un tant soit peu d’attentes, puisqu’on s’amuse à mélanger allègrement les genres entre le drame social, les fantômes du passé, le folklore amérindien et on en passe, profitant de l’ambiance particulièrement sombre pour en pondre un suspense atmosphérique rapidement envoutant.
C’est que pour Guillermo Del Toro l’enfance rime rarement avec innocence, ce qui tombe bien avec le nihilisme habituel de Scott Cooper, à qui l’ont doit notamment le magnifique Hostiles. Ici, leurs deux univers convergent en quelque chose de souvent plus que satisfaisant, comme si on avait refait Mama en version masculine, mais avec beaucoup plus d’expertise.
L’histoire est effectivement similaire à bien des égards, alors que c’est cette fois une enseignante qui se retrouve concernée par la vie d’un de ses jeunes étudiants aux prises avec un drame familial d’une nature plus que singulière impliquant son père et son frère. Ajoutez à cela les démons du passé sous forme d’abus et vous trouvez les pistes de départ d’un film qui aime laisser les choses floues pour mieux permettre au spectateur de débattre intérieurement à propos des tenants et des aboutissants.
Il faut admettre, aussi, que de limiter les personnages et de laisser la plus grande place au talent qui n’est plus à défendre de Keri Russell et Jesse Plemons était une sage décision, construisant avec nuance la relation complexe et fragile d’un frère et d’une sœur, en donnant rarement toutes les clés ou même les pièces pour comprendre tout le puzzle derrière leur histoire.
Ajoutez à cela de magnifiques paysages filmés avec précision par Florian Hoffmeister – trop souvent utilisé pour des projets qui ne tirent pas assez profit de son talent –, les compositions délicates de Javier Navarrete et le montage appliqué de Dylan Tichenor qui a travaillé avec plusieurs des plus grands dont Paul Thomas Anderson, Andrew Dominik, Wes Anderson et Kathryn Bigelow et vous obtenez un film conçu avec énormément de savoir-faire. Il faut aussi préciser que les effets spéciaux sont particulièrement réussis et donnent rarement dans la surenchère et le gratuit, ce qui arrive trop régulièrement dans ce genre de proposition.
Il est certain que le mieux est d’en savoir le moins possible pour ne pas se gâcher toutes les surprises. Et bien que l’effort est profondément imparfait et qu’on ne développe probablement pas tout comme on le devrait (on salue la durée plus que raisonnable du film d’ailleurs), on applaudit néanmoins l’effort puisque les éléments gagnants sont bien plus nombreux ce qui s’avère déjà une excellente victoire.
7/10
Antlers prend l’affiche en salles ce vendredi 29 octobre. Plusieurs représentations ont lieu jeudi soir.