Il y a, le temps de quelques pages, une lueur d’espoir dans L’Empire bleu sang, le roman de Simon-Pierre Pouliot, alias Vic Verdier, récemment paru aux éditions À lire. Une lueur d’espoir, en effet, pour que cette histoire abracadabrante mêlant exploitation minière, semi-théocratie et manipulations génétiques puisse déboucher sur un scénario improbable, certes, mais correctement exploité. Hélas, l’auteur gâche ici tout un potentiel littéraire.
Roman uchronique – soit une histoire qui se déroule dans un univers parallèle où un événement survenu dans le passé a changé notre société contemporaine; une sorte de récit d’anticipation, mais qui s’appuie sur des changements antérieurs, plutôt qu’espérés à l’avenir, bref –, le livre de M. Pouliot décrit une Ville de Québec devenue Cité-État après la découverte de gigantesques gisements de diamants sous le cap du même nom.
Ces richesses ont ainsi permis à la ville de devenir non seulement la plus importante du monde, mais aussi d’attirer les savants, intellectuels et autres penseurs du monde entier, en plus de mener à une solidification du pouvoir catholique dans la province. C’est donc une forme de théocratie mercantile qui dirige Québec, théocratie dont le pouvoir s’appuie sur le maintien de l’ordre à l’aide de chiens génétiquement modifiés pour être plus violents, plus rapides et plus intelligents. De là à croiser ces animaux avec l’humain, il n’y a qu’un pas qui est éventuellement franchi.
Parallèlement à cela, une secte religieuse, elle aussi particulièrement violente, sévit dans la ville et terrorise la population. On se doute bien que tout cela parviendra à un paroxysme qui risque de faire couler pas mal de sang et de répandre la terreur dans les rues de la métropole.
En littérature comme ailleurs, la modération a bien meilleur goût. Ou, à l’opposé, il faut parfois tellement en ajouter que l’on tombe dans un excès aussi extatique qu’agréable. On n’a qu’à penser à la série Deathstalker, de Simon Green, qui combinait science-fiction, combats à l’épée, superpouvoirs et toutes sortes d’autres ingrédients dans un bordel qui dépassait lui-même parfois les limites. Un aperçu de l’univers de Warhammer 40 000 est un autre excellent exemple d’un « monde » scénaristique si intense, si excessif, qu’il en devient particulièrement accrocheur.
Bien entendu, les attentes n’étaient pas les mêmes, ici, mais l’auteur tombe dans certains pièges qui viennent franchement gâcher la sauce. D’abord, avec moins de 250 pages, L’Empire bleu sang compte un nombre bien trop élevé de personnages; changer de point de vue à toutes les 10 ou 20 pages fait rapidement perdre le fil, et empêche de bien développer les différents protagonistes, ce qui complexifie le processus d’attachement du lecteur.
Ensuite, on apprécie certainement cet univers steampunk de la fin du 19e siècle, où la technologie a progressé bien plus rapidement que dans notre monde, mais il y a toujours des limites à faire faire des bonds à la science. Ou, du moins, à simplement décrire des systèmes et des méthodes sans bien arrimer ceux-ci dans la réalité des personnages. Passe encore que Québec soit riche de ses diamants, mais qu’aucune autre ville, pas même Londres ou New York, ne puisse l’égaler – l’auteur allant même jusqu’à qualifier ces deux mégapoles de « villes de province », ou son équivalent –, c’est franchement fort de café.
Cette tendance à l’exagération inutile est encore plus poussée lorsque M. Pouliot nous amène inutilement en 1987, 100 ans après le déroulement du scénario « central », et nous souligne, en passant, que Québec compte 30 millions d’habitants et que les Nations unies y siègent, notamment. Le tout en raison des fameux gisements de diamants qui semblent inépuisables, et en aucun cas soumis à la loi de l’offre et de la demande. Excusez du peu!
Voilà donc un roman que l’on s’entêtera à lire jusqu’à la fin, persuadé qu’il y aura certainement, au moins, une fin digne de ce nom, pour se rendre compte, dans les dernières pages, que l’intrigue est hélas aussi bâclée que ce à quoi on a fini par s’attendre. De fait, L’Empire bleu sang évoque les songes d’un adolescent ou d’un jeune adulte, mais dont les fondations sont si instables qu’elles menacent de s’écrouler à chaque instant.
Un commentaire
Merci Hugo. Il est fort intéressant d’entendre votre voix à travers celle des autres critiques – qui ont eu tendance à aller dans une direction tout autre. Je suis bien content que vous m’ayez lu jusqu’à la fin et je prends bonne note des travers que vous percevez de ce roman pour une éventuelle suite. Il y a fort à parier que vous préférerez les intrigues qui se dérouleront dans cet univers uchronique à l’histoire-fondation qui vous a déplu.