L’Empire romain a été dirigé par 175 hommes, allant d’Auguste (63 avant notre ère – 19 de notre ère) à Constantine XI (1405-1453), incluant l’Empire romain d’Orient, ou l’Empire byzantin après la scission en 395 de notre ère, mais en excluant ceux qui n’ont pas régné en leur nom propre parce qu’ils étaient mineurs, sous le pouvoir d’un régent, ou parce qu’ils étaient co-empereurs.
Seuls 24,8% des 69 empereurs de l’Empire d’Occident sont morts de causes naturelles. Les autres ont été tués sur le champ de bataille ou des suites de conspirations internes. Si l’on tient compte de tous les empereurs, 30% ont été assassinés, se sont suicidés ou sont morts au combat.
Des chercheurs de l’Institut des sciences mathématiques et informatiques de l’Université de Sao Paulo se sont intéressés aux tendances mathématiques sous-jacentes des règnes des empereurs romains, démontrant qu’ils suivaient ce que les mathématiciens qualifient de « loi du pouvoir ».
Le compte-rendu de ces travaux a été publié dans le magazine spécialisé Royal Society Open Science.
« Bien qu’elles semblent être aléatoires, les distributions des probabilités liées à la loi du pouvoir se retrouvent dans plusieurs autres phénomènes associés à des systèmes complexes, comme la taille des cratères lunaires, la magnitude des séismes, la fréquence d’apparition des mots dans un texte, la valeur des entreprises sur les marchés, et même le nombre d’abonnés des gens sur les médias sociaux », affirme Francisco Rodrigues, un chercheur spécialisé en données et principal responsable de l’étude.
Tous les phénomènes mentionnés par M. Rodrigues comportent une tendance souvent appelée principe de Pareto, ou règle des 80/20. En termes simples, cela signifie que dans tous ces cas, la probabilité qu’une situation fréquente se produise est de l’ordre de 80%, contre 20% de « chance » qu’une situation plus rare ne survienne. Par exemple, 80% des cratères lunaires sont de petite taille, tandis que 20% sont grands. Sur les médias sociaux, 80% des utilisateurs ont, tout au plus, quelques dizaines d’abonnés, tandis que 20% en possèdent des milliers, voire des millions. Dans le cas des empereurs romains, l’événement rare consistait à ne pas se faire assassiner.
« La première personne à observer ce phénomène était l’économiste italien Vilfredo Pareto, qui a vécu de 1848 à 1923. En étudiant la répartition de la richesse en Europe, il a découvert que 80% des propriétés italiennes appartenaient à 20% de sa population. La majorité possédait peu de ressources, et une minorité accumulait la majeure partie de la richesse », a indiqué M. Rodrigues.
En plus de la règle des 80/20, une autre tendance peut être observée dans la carrière des empereurs romains. « Lorsque nous avons analysé le moment de la mort de chaque empereur, nous avons constaté que le risque était plus élevé lorsque l’empereur s’installait sur le trône. Cela pourrait avoir quelque chose à voir avec les difficultés et les exigences liées au poste, et à l’absence d’expertise politique du nouvel empereur. Le risque diminue ensuite de façon systématique jusqu’à ce que l’empereur ait régné pendant 13 ans. À partir de là, le risque se remet à grimper de façon importante », mentionne M. Rodrigues.
Si la règle de 80/20 est une tendance connue, la chute marquée de l’espérance de vie après 13 années de règne est une nouvelle découverte. « Nous avons envisagé plusieurs explications pour ce point tournant. Cela pourrait vouloir dire qu’après un cycle de 13 ans, les rivaux de l’empereur avaient conclu qu’ils avaient peu de chance d’accéder au trône de façon naturelle. Peut-être que les ennemis de longue date avaient regroupé leurs forces, ou que de nouveaux rivaux étaient apparus. Une crise aurait pu voir le jour à la suite du regroupement de tous ces facteurs. Il est important de noter que le risque diminue ensuite après ce point tournant », précise le chercheur.
Le changement après 13 ans est une question qui n’a pas encore de réponse, mais en s’intéressant à une longue série d’événements s’appuyant sur l’historiographie quantitative, l’étude démontre que l’analyse statistique peut être une ressource complémentaire importante dans l’étude de phénomènes historiques. « Les formations historiques sont des systèmes complexes au sein desquels les participants interagissent, collaborent et se livrent bataille pour obtenir du pouvoir et des ressources. Les actions imprévisibles des individus peuvent mener à des tendances prévisibles en matière de comportement collectif qui peuvent faire l’objet de travaux mathématiques », conclut M. Rodrigues.