Récompensé du Prix du public à Cannes, Ahed’s Knee, ou Le genou d’Ahed, en version française, est à la fois un tour de force technique, un puissant coup de gueule à propos de la société israélienne, et une excellente preuve que l’interprétation peut pratiquement, à elle seule, propulser un film vers les hautes sphères.
Présenté dans le cadre du Festival du nouveau cinéma, qui fête cette année ses 50 ans, Ahed’s Knee commence relativement simplement: Y., un réalisateur israélien bien connu, en est à l’étape du casting pour son prochain projet, qui tourne autour d’Ahed Tamimi, cette jeune femme palestinienne qui a tenu tête aux autorités israéliennes, et d’un tweet d’une personnalité israélienne connue, qui souhaitait que cette dernière prenne une balle dans le genou, histoire de l’empêcher de nuire.
Le sujet est politiquement explosif, mais pour Y., habitué de tourner des oeuvres qui choquent, c’est une journée comme les autres. Ce qui change, c’est cette invitation à aller assister à une projection de son précédent film dans une petite ville installée en plein désert. Loin du milieu urbain et éclectique auquel il est habitué, loin des esprits plus « ouverts », peut-être – ou disons que la perspective est différente, dans le désert –, Y. vivra l’équivalent d’une crise existentielle.
Réalisé et coscénarisé par Nadav Lapid, Ahed’s Knee est de fait une remise en question des codes de la société, un affrontement, en quelque sorte, entre les urbains et les ruraux, ou est-ce plutôt la mise à nu de la psyché sociale, politique, culturelle et morale d’une nation, psyché qui est relativement bien cachée en ville, mais qui est exposée à tous les regards lorsqu’on laisse Tel-Aviv et Jérusalem derrière soi?
Ahed’s Knee, c’est aussi une interprétation magistrale de la part des personnages principaux: Y., d’abord, joué par Avshalom Pollak, particulièrement solide à l’écran, et qui semble disposer d’une liberté d’agir quasi entière. Vient ensuite Nur Fibak, qui interprète Yahalom David, la jeune femme envoyée par le ministère de la Culture pour s’assurer que tout se passe bien lors de la projection, mais qui agit aussi comme chaperon au bénéfice d’un État qui, connaissant la nature subversive des oeuvres de Y., veut s’assurer de l’empêcher de nuire le plus possible.
Tout cela est soutenu par un travail de caméra souvent quasiment violent, avec ces tours sur soi-même ou ces regards tout autour du paysage comme si le caméraman représentait, en quelque sorte, le regard plus que nerveux de Y. L’effet est déstabilisant, stressant, voire énervant, mais cadre tout à fait dans le contexte de l’oeuvre que l’on nous présente ici.
Ensemble, tous ces aspects s’unissent pour donner un film qui sort largement de l’ordinaire, une oeuvre interprétative qui ébranle en quelque sorte les colonnes du temple. Un film peut-être pas superbe, au sens classique du terme, mais qui s’inscrit tout à fait dans la continuité de la plus récente édition de Cannes. Si le festival a couronné Titane, après tout, pourquoi ne porterait-il pas Ahed’s Knee en triomphe?