Avec un climat qui se réchauffe, la glace estivale dans l’océan Arctique fond rapidement, et s’étant maintenant régulièrement sur moins de la surface qu’elle occupait au début des années 1980. Cela soulève la question: si le rythme se maintient, y aura-t-il des glaces à longueur d’année dans l’océan? Et qu’en est-il des animaux dont la survie en dépend?
Une nouvelle étude s’intéresse à cette question, et les résultats sont peu encourageants. Les travaux se concentrent sur une région d’un million de kilomètres carrés située au nord du Groenland et des côtes canadiennes, où se trouvait habituellement la glace permanente la plus épaisse, et qui était donc la plus résiliente.
Au dire des chercheurs qui ont participé à cette étude, en vertu de scénarios optimistes et pessimistes, d’ici 2050, la glace estivale y sera particulièrement mince. Selon le premier scénario, si les émissions de CO2 sont alors été maîtrisées, une partie de la glace estivale pourrait demeurer indéfiniment. Cependant, selon le scénario pessimiste, en vertu duquel les émissions gardent leur cap actuel, la glace estivale disparaîtrait d’ici 2100, en compagnie d’animaux comme les phoques et les ours polaires.
Les travaux sont publiés dans Earth’s Future.
« Malheureusement, nous sommes en train de mener une grande expérience », affirme le coauteur de l’étude, Robert Newton, un chercheur de l’Université Columbia. « Si la glace annuelle disparaît, des écosystèmes entiers qui en dépendent vont s’effondrer, et quelque chose de nouveau prendra leur place. »
Voilà des décennies que les scientifiques s’intéressent au destin de la glace de l’Arctique. Vers 2009, des chercheurs, dont les coauteurs de M. Newton, Stephanie Pfirman et L. Bruno Tremblay, se sont d’abord réunis autour de l’idée de ce qu’ils ont appelé la dernière zone de glace, soit l’endroit où la glace estivale livrera sans doute sa dernière bataille.
En hiver, la majeure partie de la surface de l’océan Arctique gèle, et cela se poursuivra sans doute dans un avenir proche, même si le climat se réchauffe. La glace peut atteindre une épaisseur allant jusqu’à un mètre chaque hiver, et si elle survit un ou plusieurs étés, elle peut ensuite atteindre plusieurs mètres de hauteur.
L’été, il y a normalement un peu de fonte, et certaines voies navigables éparses apparaissent. Cela aide les vents et les courants à transporter de la glace flottante sur de très grandes distances. Une bonne partie de ces glaces est toutefois ramenée vers les côtes les plus nordiques de l’Arctique, le long du Groenland et du Canada. Là, l’afflux de glace entraîne la création de véritables crêtes de pression pouvant atteindre 10 mètres de haut. Une bonne partie de celles-ci demeureront en place pendant 10 ans ou plus avant de se briser et d’être à nouveau emportées par les flots.
Le tout mène à la création d’écosystèmes riches. Le long des pourtours des glaces vieilles de plusieurs années, des plantes et des animaux microscopiques peuvent se développer et se multiplier. Cela nourrit en retour les poissons, qui sont mangés par les phoques, qui sont mangés par les ours polaires. Et la topographie accidentée offre des endroits pour que les phoques y installent leur « domicile », ainsi que pour les ours, lorsque vient le temps d’hiberner et d’élever leurs petits. C’est aussi un refuge contre les humains, qui y circulent à peine, même avec des brise-glaces.
M. Newton vient par ailleurs quelque peu tempérer une certaine vision catastrophiste, qui découlerait de la disparition complète des glaces et des écosystèmes qui y sont associés. « Cela ne veut pas dire que ce serait une terre désolée et sans vie. De nouvelles choses feraient leur apparition, mais il faudrait du temps pour que de nouvelles créatures s’installent. »
De fait, tout nouvel occupant devra notamment survivre au long hiver arctique sans soleil.
Les chercheurs tentent d’ailleurs de voir les choses de façon positive: si la planète progresse suffisamment dans sa lutte aux changements climatiques, la région arctique pourrait se refroidir de nouveau, et la glace restante pourrait prendre de l’expansion. La création d’une nouvelle aire protégée en sol canadien, en 2019, d’une superficie de 320 000 kilomètres carrés, donne d’ailleurs espoir.