Vers solitaire est… quelque chose? La création théâtrale, qui doit ses textes et sa mise en scène à Olivier Choinière, prend les spectateurs pour les envoyer, un à un, explorer les corridors, les rues et les souterrains de Montréal. Avec, en bout de piste, une expérience tout à fait vivante, si ce n’est déstabilisante.
D’abord, les préparatifs: pour cet exercice d’exploration et de déambulation, les participants sont amenés, un à un, à se munir d’un casque d’écoute branché sur un téléphone. Ledit téléphone joue ainsi une piste sonore d’une durée d’environ une heure. Il suffit ensuite d’entendre les bruits de pas qui signalent le début de l’aventure, puis de traverser la rue pour suivre l’interprète qui sera notre guide.
Ledit guide peut varier: pour ce journaliste, c’est la comédienne Angie Cheng qui mène le bal. Vêtue d’habits aux couleurs criardes, chargée comme un mulet de divers sacs, et clairement « enceinte » jusqu’aux yeux, la voilà qui déambule sur Sainte-Catherine, qui prend des photos de plats affichés sur des menus collés dans des vitrines, ou encore d’autres articles en vente dans diverses boutiques.
Et toujours, cette trame sonore, avec ses bruits de circulation et de dialogues qui se superposent aux vrais bruits de la rue – on nous recommandera d’ailleurs de faire attention à la circulation.
Puis, petit à petit, l’ambiance sympathique, mais quelque peu « normale », va changer. Pendant que l’on franchit notamment les portes du Complexe Desjardins, les bruits de la ville seront supplantés par d’étranges réflexions, comme sorties d’outre-tombe, ou d’un autre univers.
Qui est à l’origine de cette voix? Pourquoi exige-t-il constamment que l’on mange? Et pourquoi la comédienne obéit-elle à ces directives?
Le mystère s’épaissit pendant que cette expérience théâtrale se poursuit. Pas question de dévoiler la suite, mais il suffit de savoir que l’aventure prend une tournure étrange et quelque peu psychédélique, ce qui est tout à fait approprié dans le contexte. Montréal n’est-elle pas, après tout, elle-même étrange et psychédélique? N’a-t-on jamais rêvé de s’égarer sur un trottoir, entre deux boulevards achalandés, et d’échapper à toute cette agitation, tout ce béton, toutes ces lignes droites entre lesquelles le chaos des échafaudages réussit à s’installer et prendre de l’expansion, ne serait-ce que temporairement?
L’expérience est-elle parfaite? Bien sûr que non: on aura beau utiliser tous les artifices possibles, le spectateur demeure à Montréal, avec des airs d’hurluberlu qui, écouteurs vissés sur le crâne, suit une femme passablement étrange qui alterne entre caresses sur son ventre et grignotage intempestif. Et c’est sans compter certaines interactions, effectuées uniquement à l’aide de gestes, qui ne sont pas toujours faciles à comprendre.
Mais poussons la réflexion un peu plus loin: est-ce que ce n’était justement pas le but, de créer ce flottement, cette zone grise?
Quoi qu’il en soit, Vers solitaire est une expérience tout à fait particulière qui change certainement du rendez-vous théâtral habituel. À vivre.