Si l’on connaissait l’immense talent de l’illustrateur québécois Jacques Lamontagne, il ajoute une corde à son arc en signant le scénario de l’album Le Manoir Sheridan, une bande dessinée d’horreur illustrée par Ma Yi.
Québec, 1922. En fuite après avoir volé la caisse d’un magasin général, Daniel Letendre est englouti avec son traîneau dans les eaux d’un lac gelé. Il est sauvé de justesse par Angus Mac Mahon, un riche anglais qui l’emmène chez lui au Manoir Sheridan, un luxueux, mais lugubre domaine isolé dans la forêt. Comme sa jambe est brisée et que la tempête fait rage, son hôte propose de l’héberger quelques jours, le temps qu’il termine sa convalescence, mais lui demande de ne pas s’aventurer dans l’aile ouest sous prétexte que cette section aux planchers vermoulus est dangereuse. Malgré les souhaits formulés par le propriétaire des lieux, Daniel s’y rend quand même, et y découvre la nièce d’Angus, Édana, plongée dans un état cataleptique depuis la mort de son père. Il a beau lui parler et lui faire la lecture, rien ne semble extirper cette dernière de sa torpeur. Ce n’est malheureusement pas la seule surprise qui attend le jeune homme dans cette étrange demeure.
Si les budgets au Québec sont insuffisants pour réaliser des films d’horreur aux visuels fantasmagoriques, la bande dessinée constitue le médium parfait pour raconter ce genre d’histoire. Scénarisé par Jacques Lamontagne, l’un des illustrateurs les plus talentueux de la province, Le Manoir Sheridan propose un huis clos surnaturel où la sorcellerie, le satanisme et la quête de l’immortalité sont à l’honneur. En plus de camper son action au début du siècle dernier et de présenter une intrigue influencée par Edgar Allan Poe, La Belle au bois dormant et Stranger Things, avec son monde parallèle offrant un reflet tordu de la réalité, Lamontagne démontre son talent d’auteur en créant des personnages ambigus, à commencer par son « héros », un vulgaire voleur cherchant à échapper aux forces de l’ordre, sans oublier son majordome dont « la force prodigieuse compense son esprit, somme toute limité » et qui, malgré les apparences, n’est pas le monstre que l’on pourrait croire, ainsi qu’un noble anglais dissimulant un terrible secret derrière ses allures de bon samaritain affable.
Bien que la signature visuelle de Ma Yi ne soit pas aussi et léchée que celle de Jacques Lamontagne, son coup de crayon est fin, minutieux, et ses illustrations transmettent bien l’ambiance gothique du récit. Sa reconstitution du Québec de 1922, tout comme les pièces du Manoir Sheridan elles-mêmes, est réaliste et détaillée, mais elle excelle surtout dans sa représentation du monde infernal, dessinant des forêts menaçantes peuplées d’arbres tordus et de batraciens monstrueux dotés de trois yeux, ou créant une version « alternative » du domaine qui semble sur le point de s’effondrer avec ses bâtiments dans des angles impossibles. Faisceau d’une lampe à l’huile s’échappant d’une porte entrebâillée, lumière du jour passant à travers les carreaux d’une immense verrière, Yi utilise les éclairages de main de maître afin d’augmenter l’intensité dramatique de chacune de ses cases. L’album se conclut sur un cahier graphique de quelques pages qui permet de constater la démarche de l’artiste.
Même s’il se termine au beau milieu de l’action et qu’il faudra attendre la sortie du deuxième volume pour connaître le fin mot de l’histoire, ce premier tome du Manoir Sheridan constitue une très belle entrée en matière, et une lecture toute indiquée pour accompagner octobre, le mois de l’horreur.
Le Manoir Sheridan – Tome 1 : La Porte de Géhenne, de Jacques Lamontagne et Ma Yi. Publié aux éditions Glénat/Vents d’Ouest, 56 pages.
Un commentaire
Merci de nous parler de Jacques Lamontagne. Je l’admire beaucoup.
Benoit.