Plus de la moitié des rivières et ruisseaux de la planète ne coulent pas à longueur d’année. Une étude franco-québécoise a en effet conclu plus tôt cette année que de 51 à 60% des 64 millions de cours d’eau s’avèrent intermittents : ils cessent complètement de couler au moins une journée par année.
Des pays les plus chauds jusqu’aux zones arctiques, les cours d’eau de moindre importance possèdent donc un débit tel qu’il est susceptible de s’assécher. Même au Québec, la moitié des cours d’eau ne coulent pas à l’année longue, assure l’étudiant au doctorat en géographie de l’Université McGill et premier auteur de cette étude publiée dans la revue Nature, Mathis Messager : « Il y en a dans le sud du Québec, et même sur l’île de Montréal ».
Ses collègues et lui ont produit une carte illustrant la distribution globale de ces cours d’eau éphémères ou non pérennes. Elle montre les différents facteurs qui influencent l’intermittence du débit —la géographie, la taille du cours d’eau, le climat et sa position sur le bassin versant (en amont ou en aval).
Un des constats: les portions intermittentes des cours d’eau sont de plus en plus nombreuses, et les interruptions d’écoulement, de plus en plus longues.
« C’est le premier volet d’un plus grand projet pour documenter que le climat prend le dessus — c’est encore théorique et nous voulons le documenter — par la quantité de précipitations et le réchauffement rapide qui touche même les rivières du Grand Nord », explique le jeune chercheur.
Pour l’instant toutefois, la gestion des rivières par l’humain reste le facteur principal du manque d’eau. Les barrages construits et les détournements des lits contribuent le plus souvent à réduire le débit. Cela affecte certains affluents de fleuves de grandes tailles, comme le Colorado, au Sud-Ouest des États-Unis, qui s’assèche. « Le delta a vu la multiplication des barrages pomper son eau pour l’agriculture et les villes, dont Las Vegas et Phœnix. Cela assèche des plus petits affluents et prive des populations d’un accès à l’eau. »
Des écosystèmes à protéger
Les cours d’eau constituent des écosystèmes d’importance: insectes et amphibiens, en plus des poissons, toute une faune y vit. « Il faut protéger ces milieux où les espèces indigènes réalisent leur cycle de vie. » Même l’assèchement provisoire de certaines sections de la rivière les protège d’espèces plus invasives, telles que certaines perches », ajoute encore M Messager.
Il ne faut donc pas voir ces cours d’eau et rivières non-pérennes comme des milieux à modifier, mais plutôt à préserver.
La surveillance mondiale des rivières et ruisseaux et de leur disponibilité en eau, est réalisée par de nombreux États, sur une base volontaire. Elle recule toutefois depuis les années ’70. « Le réseau de surveillance se désagrège, il y a de moins en moins d’investissements et de nombreuses coupures de budgets. Ce n’est pas une priorité et nous avons de moins en moins de données », relève M Messager.
Une précédente étude de cet auteur, en 2018, avait déjà mis en lumière la fragilité de ce réseau hydrométrique mondial de surveillance. « Il importe que les gouvernements les renforcent et il faut encourager l’échange de données ouvertes entre les chercheurs. »
Près de 9% de toutes les eaux qui se déversent dans les océans proviennent du Canada, d’où l’importance de suivre – avec des relevés hydrologiques réalisés par des stations – la répartition et la variabilité de ces débits.
Pour avoir une plus large représentation de l’hydrologie mondiale, une carte (HydroATLAS), avait été développée il y a quelques années par l’un des chercheurs, Bernhard Lehner. Cette dernière montre aussi les variables plus générales influençant le débit des fleuves – géologie, sols, climat, usage, etc.
Important pour le futur
Cette nouvelle cartographie mondiale des rivières intermittentes apporte un point de comparaison rigoureux pour les conditions futures, commente la professeure au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM, Marie Larocque.
Les conditions climatiques et les pressions exercées par l’humain risquent en effet d’entraîner plus de plus en plus de périodes d’intermittence. « Comme les auteurs l’affirment, mieux comprendre ces cours d’eau et mieux les identifier sont des sujets de recherche très importants qui pourraient avoir de nombreuses retombées pour la gestion des ressources en eau et pour les populations », ajoute celle qui est également titulaire de la Chaire de recherche Eau et conservation du territoire. « Il est crucial pour les gestionnaires de l’eau, à l’échelle des pays, d’avoir accès à ces données et d’avoir une bonne compréhension des impacts des changements globaux sur les conditions actuelles ». La chercheuse a d’ailleurs elle-même un projet en cours pour mieux comprendre les facteurs qui favorisent la connectivité de ces eaux avec l’aquifère.
Il est important, poursuit-elle, de prendre conscience que les rivières intermittentes et les cours d’eau éphémères représentent le type de cours d’eau le plus fréquent sur la planète : « Comme les stations hydrométriques sont habituellement installées sur des cours d’eau permanents aux débits relativement élevés, ce type de rivières est donc peu documenté. Ce qui impose un biais à notre conception de l’hydrologie des bassins versants. »
Pour contrer ce biais, « comme les auteurs le soulignent, l’approche doit être utilisée à l’échelle mondiale » et non pas uniquement pour déterminer les conditions d’intermittence aux échelles locales, tempère l’experte.
N’empêche que les connaissances aux échelles locales et régionales doivent être approfondies, de manière à aider les gestionnaires à prendre des mesures préventives pour limiter les impacts futurs de l’action humaine et préparer l’adaptation aux changements climatiques.