L’effondrement rapide de l’État afghan, tel que mis sur pied et soutenu par les puissances occidentales, face à l’offensive généralisée des talibans, a entraîné un important rebrassage des cartes géopolitiques dans cette région hautement stratégique de l’Asie centrale, indique un nouveau rapport de l’Economist Intelligence Unit (EIU), qui précise que les nouveaux acteurs dans la région pourraient devoir tenir compte de Pékin, la plus grande puissance dans la région.
Si le départ en apparence précipité des troupes américaines stationnées en Afghanistan, conclusion peu glorieuse de 20 ans de guerre coûteuse, autant en ressources et en argent qu’en vies humaines, a donné l’impression d’une débandade des forces occidentales, les puissances européennes, mais surtout les États-Unis, maintiennent une présence militaire marquée au Moyen-Orient, la région limitrophe de l’Asie centrale.
Ainsi, comme l’écrivent les spécialistes de l’EIU, Washington a des forces militaires en Syrie, en Jordanie, en Irak, au Koweït, à Bahreïn, au Qatar, aux Émirats arabes unis et à Oman, en plus de l’Arabie saoudite. Rien pour égaler les près de 200 000 soldats déployés en Afghanistan au plus fort du conflit, mais juste avant la chute de Kaboul, moins de 10 000 soldats de l’Oncle Sam étaient toujours en terre afghane, 20 ans après l’invasion de 2001.
Si les États-Unis, donc, sont toujours présents, c’est pourtant la Chine, lit-on dans le rapport, qui gagnera le plus de cet « appel d’air » géopolitique dans la grande région.
Ainsi, entre Pékin, Moscou et Ankara, c’est la Turquie qui « est dans la position la plus faible pour profiter du départ des Américains », malgré ses interventions militaires récentes en Syrie et en Libye, « les problèmes politiques internes et l’impact économique de la pandémie de COVID-19 rendent une nouvelle incursion militaire difficile ».
« De plus, écrivent encore les auteurs du rapport, la Turquie s’est de plus en plus isolée des autres États moyen-orientaux, en raison de son appui de longue date à des mouvements islamistes, particulièrement les Frères musulmans, un mouvement dont l’influence a diminué au cours de la dernière décennie. »
La Russie, elle, est mieux positionnée pour faire avancer ses pions dans la région. Avec l’Iran, le Kremlin s’est rangé du côté du régime Al-Assad en Syrie, dans le cadre de la guerre civile. Le pays a toutefois évité un accrochage direct avec Israël, toujours en Syrie, ce qui prouve que « la Russie cherche à oeuvrer de façon pragmatique dans la région, sans égard aux différences géopolitiques ».
« De plus, l’intervention réussie en Syrie permet à la Russie de se définir comme un partenaire fiable au Moyen-Orient, contrairement aux États-Unis et à leur départ précipité de Kaboul », ajoutent les auteurs.
La Chine triomphante?
Au dire des spécialistes de l’EIU, c’est effectivement Pékin qui a le plus à gagner du départ des forces occidentales en Afghanistan. Si la Chine a peu d’avantages à faire directement concurrence aux États-Unis pour établir son influence dans la région, l’Afghanistan est aux confins de routes commerciales importantes qui relient l’Asie et le Moyen-Orient.
Et en maintenant une position relativement neutre jusqu’ici, le gouvernement chinois a pu conclure des accords avec diverses puissances qui sont habituellement adversaires, voire ennemies.
Mieux encore pour les acteurs de la région, qui sont généralement largement dépendants du pétrole, la Chine semble prête à financer des efforts de diversification économique pour les pétromonarchies et les autres États du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, indiquent encore les auteurs du rapport.
Une poudrière
Peu importe qui prendra les commandes, en quelque sorte, des tractations et des jeux de pouvoir qui font et défont les gouvernements de cette région, précise l’EIU, cet endroit demeure l’un des plus instables de la planète. Et la concurrence régionale, qui a de fortes chances d’atteindre des niveaux inégalés après le départ des États-Unis, viendra « exacerber l’instabilité ».
La présence de trois « blocs » géopolitiques, soit les alliés des États-Unis (Égypte, Arabie saoudite, Israël, Liban, Émirats arabes unis, Bahreïn), les pays à tendance islamiste (Turquie et Qatar), et les pays regroupés auprès de l’Iran (Syrie et l’Iran, bien entendu), n’a pas fini de provoquer des étincelles parfois dangereusement mortelles, notamment en Libye (partagée entre les pro-Washington et les pro-Islam), en Irak (pro-États-Unis contre les pro-Iran), ainsi qu’au Yémen, où les trois sphères d’influence s’entrecroisent dans le contexte des combats et des catastrophes humanitaires qui y sont encore recensés.
Et donc, la Chine s’engage-t-elle dans un guêpier?