Couronnée de quatre prix Molière en France, la pièce Adieu Monsieur Haffmann, de Jean-Philippe Daguerre, prend enfin l’affiche au Théâtre du Rideau Vert après avoir été reportée à deux reprises.
L’histoire se déroule en 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, alors que Paris est sous occupation allemande. On suit le trio formé de Joseph Haffmann (Ariel Ifergan), de Pierre (Renaud Paradis) et de sa femme Isabelle (Julie Daoust), lié par un contrat moral des plus dérangeants : Haffmann propose à son employé de lui céder sa bijouterie et de le cacher en attendant des jours meilleurs.
Si Pierre finit par accepter d’héberger clandestinement son ancien patron, il y met cependant une condition très troublante. Stérile et (manifestement) prêt à tout pour être père, Pierre ne peut donner d’enfant à son épouse et demande à son Haffmann d’avoir des rapports sexuels avec sa femme le temps qu’elle tombe enceinte. Face au destin, ils seront quittes.
Commence alors un huis clos suffocant où les émotions, les passions, les rapports de force vont se cristalliser, révéler les parts d’ombre de chacun et changer à jamais nos trois protagonistes.
Dans un décor sobre et sombre, rappelant la vie terne qui subsiste hors les murs, on nous entraîne au cœur de ce qui fait de nous des hommes. Enfermement, jalousie, frustrations, peur omniprésente, guerre, nazisme, antisémitisme, courage, amour, argent, famille, dignité et désir vital de survie se côtoient parmi les principaux thèmes. Le texte de Daguerre valse entre la noirceur et la lumière, conjuguant avec finesse le tragique de l’époque et la légèreté.
Or, ici, cette rupture de ton entre le sérieux et l’humour frôle parfois (et malheureusement) le cocasse. Le procédé de la metteuse en scène Filiatrault – peu subtil – rate sa cible.
Durant la première heure, la multiplication inefficace de saynètes – coupées par des noirs et une musique fade – casse le rythme et finit par agresser.
En revanche, le tableau du dernier tiers fait vite oublier ces maladresses vaudevillesques. L’arrivée de Roger La Rue dans le rôle de l’ambassadeur du Reich en France et de Linda Sorgini, exquise en épouse bourgeoise insupportable, redynamise la représentation. Quel savoureux tandem! On en redemande.
Réunis autour d’un somptueux repas où règne une tension palpable, les cinq personnages (Otto et Suzanne Abetz, Pierre et Isabelle, et Haffmann le Juif, sorti courageusement de sa cachette et se faisant passer pour le frère de Pierre) en auront long à dire… et à SE dire. Les paroles cruelles éclatent sans pudeur… et les questions (hélas, toujours d’actualité) fusent et subsistent.
Parviendra-t-on à réparer? À effacer ou, du moins, à estomper le mal? À panser les plaies à coup d’intentions bienveillantes? L’Histoire (ou l’Avenir) nous le dira. On quitte les lieux en se consolant devant la venue prochaine d’une enfant, seule porteuse d’espoir face à tout ce gâchis.
La pièce Adieu Monsieur Haffman est présentée au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 16 octobre.