Au cinéma comme dans les romans et les bandes dessinées, les univers post-apocalyptiques connaissent une grande popularité depuis quelques années, mais Tristan Roulot et Dimitri Armand injectent un souffle nouveau au genre, avec la série Le Convoyeur.
Au rythme où vont les choses, notre société se dirige tout droit dans le mur, et c’est sans doute la raison pour laquelle les récits dépeignant l’effondrement de la civilisation nous fascinent tant. Bien que la chute du monde actuel nourrisse l’imagination d’une multitude d’auteurs et se décline de mille manières différentes dans les œuvres d’anticipation, le scénariste Tristan Roulot réussit à présenter une variation inédite sur un thème surexploité avec Le Convoyeur, puisque ce n’est pas une pandémie ou un désastre écologique qui est en cause ici, mais une bactérie surnommée la « Rouille » qui s’attaque au métal, le rendant aussi friable que du vieux papier. Omniprésent dans l’acier des ponts, l’armature du béton, les cuves des usines, le moteur des voitures ou les ordinateurs, sa disparition a pour effet de replonger l’humanité à l’âge de bronze, mais puisque le sang contient également du fer, ce microbe engendre de terribles mutations chez les humains, rendant la planète méconnaissable.
Le protagoniste de la série est un homme connu seulement sous le nom du Convoyeur. Cet énigmatique personnage, qui a la réputation d’être immortel, s’est donné pour mission de livrer tout ce qu’on lui demande, et ce messager du futur parcourt le monde sur le dos d’un cheval aux yeux rouges incandescents, ce qui ajoute un petit côté western à cet univers post-apocalyptique. En guise de paiement, il exige de ceux et celles qui ont recours à ses services d’avaler un œuf en échange, mais quelle est donc la nature, et les effets, de ces mystérieux cocos? Dans le premier tome, intitulé Nymphe, un groupe de femmes éplorées le charge de retrouver leurs maris, disparus sans laisser de traces. Lors de sa quête, il croisera le chemin d’un ordre religieux, la Nouvelle Aube, dont les membres sont à la fois des missionnaires et des guerriers, qui kidnappent tous les couples encore fertiles afin d’assurer la survie de l’humanité.
Intitulé La cité des mille flèches, le second tome appuie un peu plus sur la dimension religieuse du récit. Poursuivi par une chasseresse qui cherche à le tuer et emprisonné par le Duc d’Arcasso pour avoir ramené son fils plus mort que vif, le Convoyeur sera secouru par des membres de la Nouvelle Aube, qui voient en lui le sauveur tant attendu. Après s’être contenté d’introduire cet univers singulier et les forces en présence dans le premier album, l’auteur Tristan Roulot multiplie les révélations chocs dans ce deuxième opus, élargissant substantiellement son terrain de jeu. On en apprend un peu plus sur l’origine des œufs qu’il fait avaler à ses commanditaires, et sans trop dévoiler de l’intrigue, la bande dessinée révèle également qu’il n’y a pas qu’un seul Convoyeur dans ce monde post-apocalyptique, et que ce personnage cachant un sinistre secret n’est peut-être pas le héros que l’on croyait.
Si les métropoles en ruines et les carcasses de voitures abandonnées sur le bord des routes sont typiques de ce genre d’histoire post-apocalyptique, l’illustrateur Dimitri Armand s’amuse à insérer ici et là les traces de l’ancien monde, comme un chandail de Led Zeppelin ou une bouteille de cola, et c’est avec beaucoup d’originalité et de talent qu’il imagine les mutations grotesques affectant les hommes. Crânes déformés ou recouverts de promontoires osseux, amas de cloques sur les visages, étranges motifs tatouant les peaux, archer doté de quatre bras, ses créatures difformes se situent quelque part entre la fantasy et l’horreur. Il donne à l’ensemble un ton agréablement adulte, avec de la nudité, des scènes d’orgies, des têtes empalées sur des piques, et même une petite touche de cannibalisme. Comme pour symboliser le combat entre le métal et la rouille, la coloration de la série est fortement dominée par le bleu marine et l’orange.
La chute de la civilisation a été mise en scène de bien des façons dans les œuvres d’anticipation, mais on n’a jamais vu quelque chose qui ressemble, de près ou de loin, au Convoyeur, un western post-apocalyptique très innovateur qui vaut certainement le détour.
Le Convoyeur, Tome 1 : Nymphe, de Dimitri Armand et Tristan Roulot. Publié aux éditions Le Lombard, 56 pages.
Le Convoyeur, Tome 2 : La cité des mille flèches, de Dimitri Armand et Tristan Roulot. Publié aux éditions Le Lombard, 56 pages.