Il y a plusieurs façons de calculer comment les pays riches pourraient atteindre leurs cibles de réduction des gaz à effet de serre. Mais l’une d’elles est sans équivoque: pour éviter de dépasser le seuil de 1,5 degré, il faudrait laisser dans le sol près de 90% des réserves encore inexploitées de charbon, et 58% de celles de pétrole.
Et encore, réussir cet exploit n’apporterait que 50% de chances d’éviter de dépasser le seuil des 1,5 degré Celsius d’augmentation de la température planétaire par rapport aux moyennes d’avant la révolution industrielle. Ces chiffres sont contenus dans une étude parue le 8 septembre dans la revue Nature.
Le point de départ de ces calculs est plus simple qu’il n’en a l’air: pour éviter de dépasser ce seuil de 1,5 degré, il ne faut pas émettre plus de 580 gigatonnes de dioxyde de carbone d’ici 2100. Partant de là, ont tenté d’évaluer des chercheurs sous la direction de l’économiste Dan Welsby, du Collège universitaire de Londres, quelle quantité de pétrole, de gaz et de charbon peut-on se permettre d’exploiter — et qu’est-ce que cela représente par rapport aux gisements en cours d’exploitation et à ceux qui n’ont pas encore été exploités.
C’est ce dernier chiffre — les gisements encore inexploités, par exemple ceux de l’Arctique — qui est par définition approximatif: il est possible qu’il subsiste davantage de réserves de carburants fossiles dans le sol que ce qu’on estime généralement. Toutefois, on peut évaluer avec une plus grande assurance les gigatonnes de CO2 que représenteront les gisements qui sont d’ores et déjà en cours d’exploitation.
Et avec ces calculs, certains pays ont un plus gros défi que d’autres devant eux: ainsi, l’Australie devrait laisser 95% de ses réserves de charbon dans le sol, la Russie et les États-Unis, 97%, tandis que le Canada devra se détourner de 84% de ses réserves de pétrole des sables bitumineux.
Les auteurs de l’étude ont même inclus dans leur modèle le développement de technologies d’entreposage ou de « capture » du carbone: ces technologies donneront un petit répit supplémentaire, à condition qu’elles puissent être développées dans les prochaines décennies à plus grande échelle que maintenant.
Si la cible de 1,5 degré semble utopique, même celle des 2 degrés est difficile: déjà en 2015, une étude aux objectifs similaires avait évalué que, pour éviter de dépasser ce seuil des 2 degrés, un tiers des réserves de pétrole, un quart de celles de gaz et 80% de celles de charbon, devraient rester dans le sol.
Or, aussi théoriques que soient ces « seuils » de 1,5 et de 2 degrés, on sait d’ores et déjà que certains des « points de bascule » de notre planète auront été dépassés lorsque nous atteindrons les 2 degrés, et que quelques-uns l’ont peut-être même déjà été. On parle ici, par exemple, de la fonte des glaces de l’Arctique, qui a peut-être déjà dépassé un « point de bascule », autrement dit, un point de non-retour. Ou du niveau de CO2 dans l’atmosphère au-delà duquel les courants atmosphériques commenceraient à être perturbés d’une façon irréversible, sans retour en arrière possible, du moins pas avant des siècles. On n’a qu’une idée approximative de ces seuils, mais on a de bonnes raisons de vouloir s’en tenir loin…