C’est soir, ou plutôt semaine de première pour le théâtre québécois, et puisque toutes les salles semblaient vouloir inviter la presse en même temps, il a fallu choisir: ce fut donc AlterIndiens, une pièce donnée à la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, et qui a fait l’objet d’un entretien avec son traducteur et l’un de ses interprètes, cette semaine.
Pour célébrer sa relation avec un jeune auteur autochtone, une professeure d’université, qui enseigne justement la littérature autochtone, invite deux de ses amis, végétaliens « éthiques ». Et pour couronner le tout, elle prend aussi contact avec deux amis de Gabriel, son doux et tendre, sans se douter que cela mettra tant de piquant dans la soirée que le repas s’en trouvera indigeste.
Écrite par Drew Hayden Taylor, lui-même autochtone, la pièce vise à « explorer les angles morts », comme le mentionnait justement en entrevue Charles Bender, qui a traduit le texte et joue le rôle d’un Allochtone qui se met un peu les pieds dans les plats. Malaise sera d’ailleurs le maître-mot de cette soirée où les personnages multiplient les faux-pas, d’un côté comme de l’autre, quand ils n’en viennent pas presque aux insultes ou aux coups.
Tout semble permis: des commentaires cinglants, des diatribes enflammées, mais aussi des blagues qui font bien souvent mouche, au grand plaisir des spectateurs. Ceux-ci, rassemblés en cercle autour des comédiens, sont pratiquement des participants involontaires de ce vaudeville aigre-doux. D’ailleurs, tout au long de l’oeuvre d’1h40, environ, ce journaliste valsera entre la franche rigolade, le sourire en coin, ou encore la posture clairement affectée par le malaise provoqué par un ou plusieurs personnages, avec les bras croisés et le corps penché vers l’arrière.
S’il était nécessaire d’injecter une bonne dose d’humour dans ce qui est finalement un drame passablement lourd et difficile, doublé d’une réflexion intéressante sur de nécessaires questions d’identité, force est d’admettre qu’AlterIndiens est une pièce inégale. Impossible, bien sûr, de mettre le tout à plat, si l’on veut, sans rendre la chose banale et ennuyante. Mais des choix scéniques viennent exacerber cette impression d’imprécision, de flottement.
D’abord, sans aucune raison valable, le personnage de Gabriel entre en scène, complètement nu, en jouant de la guitare électrique; le tout s’accompagne d’un incompréhensible ajout de rires enregistrés qui finiront heureusement par disparaître après quelques minutes. Mais pourquoi avoir choisi de les ajouter, dès le départ?
Ensuite, sans vouloir enlever quoi que ce soit aux scènes de colère, des répliques hurlées deviennent rapidement incompréhensibles. Et cela est tout aussi vrai pour la comédienne à l’accent sud-américain (Lesly Velazquez, très bonne au demeurant) que pour l’actrice québécoise (Marie-Josée Bastien); les cris se succèdent, on n’y comprend plus rien, et on a rapidement hâte que la pièce passe à autre chose.
C’est malheureusement pour ces quelques accrocs qu’il est difficile de recommander AlterIndiens autrement que sous la forme d’une oeuvre fondamentalement imparfaite. Ce qui est bien dommage, puisque ces questions d’identité sont encore aujourd’hui au coeur du débat social et politique qui entoure les enjeux liés aux Autochtones. À preuve, une certaine ex-coprésidente qui a fait retirer quelque 5000 ouvrages de bibliothèques ontariennes…
AlterIndiens, de Drew Hayden Taylor, traduit par Charles Bender, mise en scène de Xavier Huard; avec Marie-Josée Bastien, Charles Bender, Charles Buckell-Robertson, Violette Chauveau, Étienne Thibeault et Lesly Velazquez.