L’ironie de la situation a bien entendu déjà été soulignée à maintes reprises, mais la « fin » de la guerre en Afghanistan, 20 ans quasiment jour pour jour après son déclenchement, donne un tout autre ton aux commémorations des attentats du 11 septembre. Ceux-ci, qui prenaient déjà une connotation toute particulière cette année, deux décennies après les attaques qui ont profondément changé la face du monde, sont examinés en détail dans un nouveau documentaire intitulé 9/11: Inside the President’s War Room, récemment lancé sur Apple+.
Bien sûr, il ne s’agit certainement pas du premier documentaire sur ces événements: l’intérêt de la chose, cependant, est qu’il s’agit fort probablement de la première occasion où une bonne partie des têtes dirigeantes qui étaient en poste à la Maison-Blanche à cette époque, notamment le président George W. Bush, son conseiller Karl Rove, le vice-président Dickl Cheney, le secrétaire d’État Colin Powell, la conseillère à la sécurité nationale Condolezza Rice et bien d’autres, se confient à la caméra et racontent, parfois minute par minute, le déroulement de cette journée fatidique.
En utilisant bien entendu ces témoignages, mais aussi quantité d’images vidéo et de photos d’archives de cette même journée, le film permet d’obtenir un éclairage différent sur les 12 heures qui ont suivi l’écrasement des deux avions dans les tours du World Trade Center, et la façon dont l’homme le plus puissant de la planète a tenté de comprendre ce qui se produisait pour ensuite prendre les décisions appropriées.
Il est ainsi stupéfiant de se rappeler qu’il y a 20 ans, les réseaux sociaux n’existaient évidemment pas, et que la première source d’information demeurait la télévision câblée. Pas étonnant qu’en l’absence d’informations complètes de leur côté, le président et ses plus proches conseillers en étaient rendus à se tourner vers CNN, souvent avec des télévisions dysfonctionnelles, pour tenter de comprendre ce qui se passait sur le terrain.
Ce qui surprend – et inquiète –, c’est de voir jusqu’à quel point le pays le plus puissant de la planète a semblé figé, ou encore pétrifié, lorsqu’il s’est retrouvé visé par une poignée de terroristes capables de détourner des avions et de les jeter dans des bâtiments représentatifs de la puissance américaine. Pendant de longues heures, Bush hésite, tergiverse, cherche à obtenir plus d’informations, et aucun membre de sa garde rapprochée ne semble être en mesure de l’aider à poser les gestes appropriés, y compris de choisir un endroit où se rendre à bord d’Air Force One. Y avait-il seulement une meilleure solution que ce qui a été décidé? Impossible de le savoir.
Le documentaire donne par ailleurs l’occasion de revivre l’un des rares moments où l’on peut affirmer, sans l’ombre d’un doute, que l’histoire s’est écrite en direct, sous nos yeux. Et lorsque l’on pense à tout ce qui a suivi, la guerre en Afghanistan, celle d’Irak; les programmes d’espionnage domestique et à l’étranger; la sécurité renforcée dans les aéroports et ailleurs aux États-Unis; le gonflement extrême des budgets consacrés à la défense et au renseignement; la fameuse « doctrine Bush » qui mènera au conflit contre les talibans et au monde peinturé en noir et blanc par un président inapte et ses sbires assoiffés de pouvoir et de sang… Il y a de quoi ressentir à la fois une grande colère et une profonde tristesse.
Une colère, d’abord, parce que les gens qui s’expriment dans le documentaire sont responsables d’une bonne partie du chaos des 20 dernières années, notamment du chaos provoqué par l’invasion de l’Irak, en 2003 – sous un faux prétexte! –, avec l’apparition éventuelle du groupe armé État islamique, des milliers d’Américains (et de Canadiens et d’autres membres de pays alliés) qui sont morts pour rien dans les sables du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, sans compter la torture, la prison de Guantanamo, le pourrissement de la société civile américaine… Tous ces gens, George W. Bush le premier, n’ont jamais eu à répondre de leurs actes. On voudrait, 20 ans plus tard, leur demander s’ils comprennent la portée de leurs gestes, le 11 septembre 2001 et les jours qui ont suivi.
On voudrait leur demander s’ils regrettent. Si tout cela les empêche de dormir.
La tristesse, enfin, découle du fait qu’au-delà des moments de tension splendidement narrés par Jeff Daniels, il y a ces gens qui allaient au travail, le 11 septembre. Ou qui attendaient simplement que leur avion atterrisse, et qui n’auront jamais revu leurs proches, leurs collègues, leurs amis. Ces milliers de personnes tuées par des fous de Dieu aveuglés par une idéologie pas si différente de celle des occupants de la Maison-Blanche: assurer la victoire de sa vision du monde, peu importe le prix.