Adrien et Charles appartiennent résolument à la classe populaire: fuyant la loi sur la conscription pour fournir des troupes aux Britanniques qui combattent les Allemands en Europe, au cours de la Première Guerre mondiale, ces deux Frères insoumis fuiront aux États-Unis, où ils participeront à un moment historique tout aussi violent qu’oublié.
Écrit par Claude Vaillancourt, ce roman publié chez Druide réuni en un seul ouvrage quantité de sujets sociopolitiques importants du début du 20e siècle: la participation du Canada au premier conflit mondial, les relents du colonialisme britannique au pays, la volonté d’indépendance des Québécois, la dure réalité des classes populaires, les dures réalités de la révolution industrielle, ainsi que les combats violents, voire parfois mortels, que les travailleurs ont dû mener pour obtenir des droits qui sont aujourd’hui souvent tenus pour acquis.
En ce sens, Frères insoumis représente un rappel bien intéressant de ces faits historiques. D’autant plus que la période pré-Deuxième Guerre mondiale est parfois nimbée d’une sorte de brouillard où les événements, les enjeux et les participants au grand ballet de notre civilisation se confondent et se mélangent. Que savons-nous vraiment des conditions des travailleurs américains de l’entre-deux guerres? Qu’en est-il du pouvoir des grandes compagnies? De l’état de l’organisation syndicale? Ou encore des communautés immigrantes, Québécois compris, qui s’installaient aux États-Unis pour y chercher fortune, mais qui vivaient encore largement entre elles, en créant autant de ghettos qu’il y avait de langues parlées?
S’il est impossible de reprocher à M. Vaillancourt de ne pas connaître son sujet – il a manifestement effectué de longues et profondes recherches historiques avant de s’atteler à la rédaction de son livre –, il en est tout autrement lorsque l’on examine l’ouvrage pour tenter d’y découvrir les qualités intrinsèques. Car un roman, ce n’est pas simplement une longue description de faits et d’actions. Ce sont aussi des dialogues, et l’art de l’écriture tourne justement autour de la capacité d’équilibrer les dialogues avec les descriptions pour que l’action du livre suive normalement son cours.
D’un côté, vous avez donc Le neveu de Rameau, texte soporifique de Diderot qui tient davantage de l’argumentation entre deux personnages que du roman comme tel; de l’autre, vous avez quelque chose comme Frères insoumis, où l’auteur semble avoir si peu confiance en ses personnages qu’il ne leur donne presque jamais l’occasion de s’exprimer en leur nom propre. Il en résulte des personnalités quasi unidimensionnelles et un roman qui se lit davantage comme un scénario. Et encore, les scénarios comportent des dialogues. Non, le livre se lit comme les didascalies d’une pièce de théâtre, ces indications scéniques qui permettent d’animer un peu les… dialogues, justement.
Ce n’est pas que Frères insoumis soit fondamentalement ennuyant, qu’il soit mal écrit, ou que le sujet abordé ne soit pas intéressant, bien au contraire. Non, l’écueil massif, ici, c’est cette structure tenant davantage du synopsis que du véritable livre. On en vient à tourner les pages quasi rageusement, en ayant hâte que tout cela se termine. Et c’est bien dommage.