En plus des Afghanes et de ceux qui ont travaillé avec les Occidentaux, un autre groupe craint pour sa sécurité, pour son avenir et pour l’avenir de son pays: les professeurs d’université et les chercheurs.
De 8000 étudiants universitaires en 2001, l’année où l’invasion américaine a mis fin au régime des talibans, on était passé à 170 000 étudiants en 2018, dont un quart étaient des femmes. Des avancées qu’on doit en bonne partie à l’aide internationale: depuis 2004, la Banque mondiale, l’Agence américaine de développement international et d’autres, ont envoyé des centaines de millions de dollars aux universités afghanes pour y soutenir l’enseignement et la recherche. Des universités qui sont passées de quelques-unes il y a 20 ans, à une trentaine d’institutions publiques — et plusieurs institutions privées.
Les revues Nature et Science citent cette semaine plusieurs universitaires afghans ou d’origine afghane qui, tous, craignent à présent le pire.
L’un d’eux, l’expert en séismes Najibullah Kakar, a étudié en Allemagne et contribué à mettre en place, en 2014, le premier réseau de détection sismique d’Afghanistan. Lui et ses collègues ont dû interrompre ce travail en 2019, à cause des conflits armés dans les régions éloignées, et vivent pour l’instant en Afghanistan, incertains de ce qui les attend.
Ils font partie de plusieurs chercheurs qui ont demandé à être accueillis comme réfugiés. L’organisme Scholars at Risk, basé à New York, qui se donne pour mission depuis quelques années de trouver des universités d’accueil à travers le monde pour des universitaires à risque de représailles, dit avoir reçu plus de 500 demandes d’Afghanistan rien que pendant le mois d’août. L’organisme évalue à environ 160 les institutions des États-Unis ou d’Europe qui ont répondu à son appel.
Parmi les universitaires qui se considèrent à risque, il y a ceux qui ont travaillé dans des équipes internationales, ainsi que des chercheurs en droit dont le domaine d’expertise se retrouve en conflit avec une interprétation stricte de la foi. Et surtout, beaucoup de femmes.
Certes, les talibans ont pris soin de répéter depuis une semaine qu’ils avaient changé. Et certains chercheurs ont rapporté des discussions en cours entre les talibans et la direction de leur établissement pour redémarrer les cours.
Mais même si le scénario du pire ne se réalisait pas —autrement dit, même si les femmes pouvaient continuer à enseigner et que les universitaires qui ont travaillé avec les Occidentaux ou critiqué le nouveau régime n’étaient pas traqués— éducation et talibans vont difficilement ensembles, commente dans Science un scientifique afghan sous pseudonyme: « les gens scolarisés sont ciblés parce qu’ils ont transformé le pays ». La vie académique « est en opposition avec l’idéologie talibane ». Déjà la semaine dernière, l’un d’eux a été nommé nouveau recteur de l’Université Paktia, à Gardez.
Qui plus est, même sans scénario du pire, si l’aide internationale s’interrompt, on voit mal comment enseignants et chercheurs seront payés, note Mohammed Assem Mayar, expert en gestion de l’eau à l’Université polytechnique de Kaboul. Et certains évoquent, avec le chaos qui règne dans le pays et la pauvreté rampante, des risques de pillage dans certaines institutions.
Chose certaine, un grand nombre de ces enseignants, chercheurs ou étudiants, ont déjà quitté, parmi les quelque 100 000 personnes qui ont été évacuées depuis le 15 août. « C’est une catastrophe pour le futur de l’Afghanistan », commente dans Nature un membre de l’Académie des sciences qui a demandé à ne pas être nommé — et dont les collègues n’ont pas reçu de salaire depuis deux mois.