Entre créatures surnaturelles et phénomènes de cirque, la bande dessinée Sideshow de Corbeyran et Emmanuel Despujol utilise la Grande Dépression aux États-Unis pour livrer un récit qui cultive l’étrange, sans jamais tomber dans les clichés.
Charles Chamber, que tous appellent Charly, possède un don aussi unique que particulier. En effet, en sa présence, les entités maléfiques de toutes sortes perdent leurs pouvoirs. Pour gagner sa vie, il loue ses services à ceux et celles qui se plaignent d’une présence surnaturelle hostile dans leur entourage, débarrassant les vieilles demeures de leurs occupants indésirables, ou nettoyant les cimetières des créatures néfastes qui les hantent. Il ne manque pas de travail en cette année 1929, puisque les vampires, fantômes, loups-garous et kobolds semblent profiter du Krach boursier et de la misère humaine qu’il engendre pour sortir de leur tanière, et terroriser les habitants des États-Unis.
Chargé par une veuve éplorée de retrouver la lamie ayant assassiné son mari, il parvient à capturer la dangereuse créature après une longue traque, mais cette dernière se transforme et prend l’apparence d’une fillette inoffensive. Alors qu’il la ramène à New York pour faire face à la justice, sa prisonnière provoque un accident de voiture, et le duo est contraint de continuer le périple à pied. En route, ils rencontrent Trixie, la « beauté tatouée », dont le camion est immobilisé suite à une crevaison. La jeune femme propose de les héberger pour la nuit au cirque où elle travaille, et si Charly accepte, il devra rester très vigilant pour que sa captive ne fasse d’autres victimes parmi les membres de la troupe.
Utilisant la Grande Dépression de 1929 comme toile de fond, Sideshow oppose deux sortes de monstres bien différents, avec d’un côté les créatures surnaturelles peuplant l’imaginaire collectif et nourrissant les légendes depuis la nuit des temps, et de l’autre les personnes victimes de malformations, comme les garçons-chiens atteints d’hypertrichose, les enfants aux pinces en guise de mains, les femmes à barbe et autres bêtes de foire qui, jusqu’au milieu du 20e siècle, se joignaient aux cirques afin de connaître un sentiment de communauté et s’exhiber aux regards souvent horrifiés de leurs concitoyens pour gagner leur vie, créant ainsi un univers qui rappelle le film Freaks, ou la série American Horror Story: Freakshow.
Entre ces deux formes d’anormalité se trouve Charles Chamber, un détective paranormal dont le pouvoir est de neutraliser celui des entités surnaturelles. L’album s’ouvre sur ses funérailles, alors que les deux seules personnes présentes à la cérémonie échangent leurs souvenirs du défunt et reviennent sur la façon dont leur ami a découvert son don à l’âge de douze ans, mais à la conclusion de ce premier tome, on n’en sait pas plus sur les circonstances entourant sa mort. Plusieurs autres éléments demeurent également en suspens. Trixie par exemple laisse sous-entendre que c’est un homme qui a recouvert son corps de tatouages contre son gré, mais il faudra attendre la sortie du deuxième volume pour éclaircir plusieurs questions soulevées ici.
Sideshow est porté par les images soignées d’Emmanuel Despujol. D’un trait de crayon fin de facture plutôt classique, l’illustrateur reprend l’iconographie habituelle de l’horreur, avec ses manoirs délabrés aux fenêtres barricadées, ses gargouilles de pierre semblant surveiller les humains, ses vampires aux allures de Nosferatu ou sa lamie au teint cadavérique fuyant à travers des cordes à linge sur lesquelles sèchent des draps aussi blancs qu’elle. L’artiste a souvent recours à des angles inusités pour présenter l’action, et il manie les ambiances comme nul autre, entre ses funérailles balayées par la neige et la pluie verglaçante, ses scènes urbaines où des chiens fouillent dans les poubelles pour trouver une maigre pitance sous la lueur des lampadaires, ou ses petites routes de campagne illuminées par les phares des voitures. C’est à la fois sombre, et très beau.
Si, comme moi, vous avez un faible pour les histoires d’horreur subtiles et l’imagerie unique des cirques d’antan où les phénomènes de foire étaient à l’honneur, il y a de bonnes chances pour que ce premier tome de Sideshow soit votre prochain coup de cœur.
Sideshow, tome 1 : Charly, de Corbeyran et Emmanuel Despujol. Publié aux éditions Soleil, 56 pages.