Les agriculteurs québécois sont nombreux à appréhender les impacts des changements climatiques. Mais s’il est une culture qui pourrait en bénéficier, c’est celle du vin, pour qui l’allongement de la saison s’avère déjà positif.
« Nous avons gagné deux degrés par hiver depuis 7 ans. Et il a fait -25 degrés C au plus froid cet hiver contre -34 degrés C à l’hiver de 2013 », résume Anne-Marie Lemire du Vignoble Léon-Courville, dans les Cantons-de-l’Est. L’hiver, des toiles géotextiles protègent les vignes du froid.
Les changements climatiques amènent toutefois leur lot d’incertitudes. « Les hivers sont moins durs qu’avant, mais il y a moins de neige permanente et donc, nous perdons un bon isolant. Les dégels printaniers sont aussi plus fréquents avec une température en yoyo», renchérit Charles-Henri De Coussergues, cofondateur et copropriétaire du Vignoble de L’Orpailleur, également dans les Cantons-de-l’Est.
Le vétéran des vignerons commerciaux québécois, avec ses premières vignes plantées il y a 40 ans, a vu ses journées sans gel passer « de 135 jours (en 1982) à 185 jours. Les saisons s’allongent et il nous est possible de faire 30% de notre production en rouge», ajoute M De Coussergues.
Le vin rouge demande plus de maturité aux grains de raisin, que le vin blanc. Pour parvenir au mûrissement désiré, les vignerons comptent donc les degrés-jours – les jours où le thermomètre dépasse les 10 degrés C (ce que les experts appellent le « zéro végétal »).
Or, les vignes de l’Est du Canada peuvent compter à présent sur une saison de croissance de près de 40 jours de plus qu’au début de 1980. « Soit près de 1300 à 1400 degrés-jours pour le Sud du Québec contre 1100 à 1200 en Nouvelle-Écosse », précise Karine Pedneault, chercheure associée à l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal.
Avec plus de chaleur, de nouveaux cépages sont cultivés plus facilement au Québec. « Les ceps de vigne remontent vers le Nord», relève le copropriétaire de L’Orpailleur. Malgré les surprises printanières, les changements s’avèrent donc pour l’instant plutôt positifs pour son vignoble.
« On peut cultiver des cépages que je ne pensais pas voir ici lorsque nous avons commencé, tels que le Cabernet franc (rouge) ou un Gewurztraminer (blanc) car nous arrivons au même degré-jour que la région française de Haute-Bourgogne. Cela laisse de la place à l’expérimentation et à de nouveaux venus ».
« Les viticulteurs ont une relation amour-haine avec le climat d’ici », explique Karine Pedneault, qui est également professeure au Département des sciences de Université Sainte-Anne (Nouvelle-Écosse). « Les changements amènent une température plus chaude et plus longtemps. Par contre, qu’en est-il des conséquences sur la qualité du vin?»
Une longue et chaude saison de croissance
La chercheuse se penche actuellement sur cette question dans la Vallée d’Annapolis, en Nouvelle-Écosse. L’implantation de serres mobiles dans les vignes lui permet d’étudier l’impact du réchauffement climatique sur la biochimie des raisins de la variété canadienne hybride L’Acadie blanc.
Le climat a un impact majeur sur la physiologie de la vigne et le mûrissement des baies, comme l’a découvert Karine Pedneault. « Le réchauffement climatique a un impact sur toutes les phases de développement de la vigne et sur la production de composés aromatiques des grappes.»
Encore au début de l’analyse des résultats prélevés l’an dernier, elle constate des différences dans une vingtaine de composés floraux et fruités, comme certains phénols qui « modifient le goût et la qualité du vin ».
Les principaux changements proviennent très tôt lors de la formation des grains de raisin, une phase moins valorisée du développement des grappes. « Cette phase, considérée à tort comme moins importante que la véraison, voit la formation de précurseurs dans les grains, des molécules centrales à la formation des composés aromatiques », rappelle la chercheuse.
Les étés de plus en plus chauds et humides accélèrent donc la véraison et même les vendanges. Cette accélération du développement des baies pourrait potentiellement nuire à la vinification et à terme, à la qualité du vin.
Des lots d’incertitudes
Par ailleurs, les changements climatiques ne signifient pas juste des étés plus longs. Les regels printaniers se font plus fréquents et les orages se multiplient, les hivers changent avec le couvert de neige qui s’efface et des épisodes de sècheresses précoces surviennent de plus en plus souvent au printemps.
Ce lot d’incertitudes vient troubler les plus optimistes et sème de l’inquiétude parmi la petite centaine de vignerons d’ici. « Depuis trois ans, on manque d’eau au printemps, c’est crevassé et on a commencé à irriguer», résume le vigneron et propriétaire du vignoble du Domaine du Fleuve à Varennes, Louis Thomas.
Il affirme toutefois ne pas vouloir se plaindre de la chaleur et de la sécheresse. « Nous sommes habitué à nous faire du souci pour le froid, mais les chauds-froids et les variations de températures, ce n’est jamais trop bon ».
En mode solution
Les vignerons québécois cherchent tous des solutions pour parer aux aléas climatiques. Et les chercheurs aussi, en commençant par la quête du cépage plus adapté à ces bouleversements. Karine Pedneault pense d’ailleurs que les hybrides conçus pour résister aux froids hivernaux et aux insectes ravageurs, résisteront mieux aux différents changements liés au réchauffement (voir encadré).
Les cépages hybrides représentent désormais plus de 85% des ceps de Nouvelle-Écosse et du Québec. « C’est une police d’assurance contre les gels et les maladies », convient Karine Pedneault. L’idée est de trouver le « match parfait » entre le cépage, le terroir et les changements climatiques.
« Ces croisements présentent une flexibilité à différentes épreuves : Seyval blanc, Maréchal Foch, etc. Ce semble être un plus dans un contexte climatique plus incertain». Ces cépages offrent une grande adaptabilité mais ils posent encore des problèmes d’un point de vue biochimique. « Nous voulons conserver un grain de raisin intéressant d’un point de vue œnologique, ce qu’offrent moins les hybrides. Plus résistants à la froide température et aux ravageurs, ils ont une peau plus épaisse qui interfère avec la production de tanin. Cela provoque une perte de l’astringence désirée dans le vin », précise la chercheuse. La recette est encore à peaufiner.