Avons-nous péché? Commis quelque crime qui a ensuite été promptement et violemment puni par une quelconque entité tout aussi impalpable qu’omnisciente? Création déjantée – et le mot est plus que faible! –, Mad God, un long-métrage d’animation présenté à Fantasia, s’avère être l’une des raisons pour lesquelles le festival conserve ses lettres de noblesse.
Deux mots: Phil Tippett. Légende vivante des effets visuels au cinéma, et spécialiste hors pair de l’animation en stop motion, une technique peu à peu délaissée par les grands studios devant l’avènement du numérique, mais qui conserve son lot d’adaptes, M. Tippett travaillait, semble-t-il, depuis des décennies sur cette oeuvre.
Et qu’obtient-on, pour tout ce travail, tout ce temps consacré à ce long-métrage? Probablement le plus grand film d’animation en stop motion, voire d’animation tout court, depuis de nombreuses années. Oui, il y a eu de grands crus, comme Spiderman: Into the Spiderverse, mais on parle là d’animation dans le sens plus traditionnel du terme, avec une histoire somme toute relativement classique..
Avec Mad God, on touche à quelque chose de plus grand, de plus audacieux, de plus tordu, de plus incroyable… Bref, on touche probablement à ce qui s’approche le plus du génie, dans le contexte. Non pas que l’oeuvre soit parfaite, bien au contraire. Ou peut-être est-elle parfaite dans son imperfection? Quoi qu’il en soit, ce récit sans paroles, mettant en vedette, en quelque sorte, un explorateur anonyme chargé de faire sauter une bombe dans ce qui pourrait bien passer pour l’un des 9 cercles de l’Enfer de Dante, séduit, réjouit, émerveille et dégoûte tout à la fois.
Il faut voir cette excellente combinaison de stop motion avec de véritables acteurs incrustés dans les décors; ces paysages titanesques, presque toujours torturés, salis, corrompus, viciés; ces personnages secondaires sans voix que l’on entend simplement geindre, gémir ou crier d’horreur ou de douleur lorsqu’ils sont inévitablement broyés dans l’une des nombreuses pièces de ce Moloch aux aspérités bien souvent suintantes, quand elles ne sont pas couvertes de crasse, de sang ou d’un autre liquide corporel…
Car oui, Mad God est aussi un film d’horreur, avec son hémoglobine, ses massacres, sa peur, ses entrailles qui sont implacablement déchiquetées. On grince des dents devant ces torrents de merde ou encore de vomissures qui se déversent dans de gigantesques entonnoirs pour, ultimement, donner naissance à des serviteurs à l’esprit aussi vif qu’un zombie qui finiront dévorés, embrochés ou écrasés par centaines.
Le monde de Phil Tippett est ici un monde d’engrenages usés, une infernale machine qui fonctionne jour et nuit, qui a toujours fonctionné et qui fonctionnera toujours, peu importe le nombre d’explorateurs/soldats que ceux « d’en haut » envoient dans une capsule blindée.
Dérangeant, créant parfois le malaise – quant il ne donne pas l’impression de carrément halluciner –, le long-métrage entre dans une catégorie à part. Celle des intemporels, des hors-concours, des oeuvres qui frappent si fort que l’on termine la projection à moitié sonné.
Quelque part vers la 60e minute des 90 que compte le film, d’ailleurs, notre cerveau se demandera, pendant un instant, si Tippett et son équipe ne sont pas allés trop loin. N’ont pas trop cherché à compléter ce voyage maudit au bout des ténèbres. À cela, il n’existe pas vraiment de réponse. Ce qu’il est possible d’affirmer, cependant, c’est que le maître s’est plus que surpassé. Et que Mad God est un film gigantesque qu’il faudra approcher quasiment avec révérence.