Dans un quartier particulièrement huppé de Singapour, le Tiong Bahru Social Club promet une expérience « heureuse », « joyeuse », et autres mots du même genre, du moment qu’on y met l’argent nécessaire. Et dans le cadre du festival Fantasia, ce long-métrage réalisé et coscénarisé par Tan Bee Thiam ne lésine pas sur le côté grinçant de cette parodie des quartiers destinés au troisième âge.
Tout juste trentenaire, Ah Been (ou est-ce Ah Bee, comme indiqué par les personnages et les sous-titres?) vit toujours chez sa mère, et est maintenant sans emploi. Désireux de trouver un nouvel endroit où vivre, il se lance comme « agent de bonne humeur » au susmentionné Social Club.
L’endroit tient à la fois de l’épisode de Black Mirror et de la comédie un peu cynique de Wes Anderson: tout y est pastel, tout y est idyllique, tout y est parfait. Enfin, presque parfait. Parce qu’évidemment, le paradis n’existe pas. Ici, on voit rapidement que quelque chose coince. Ne serait-ce que parce qu’une série de caméras de surveillance, assistées d’une intelligence artificielle, forcent les employés à être toujours plus gentils, toujours plus souriants. Forcément, la moindre petite chose finit par entraîner un dysfonctionnement.
Ah Been se fera rapidement indiquer, d’ailleurs, qu’il doit améliorer sa performance. Les gens qui ne conviennent pas sont rapidement congédiés, dans une sorte de course vers le sommet.
Mais comment les citoyens font-ils, au fait, pour évacuer leurs frustrations? Car si les employés doivent tout garder en eux, les clients, de leur côté, peuvent se plaindre. Et c’est exactement ce qu’ils consacrent des heures à faire, dans une scène quelque peu surréaliste évoquant autant la ligne d’aide téléphonique que le confessionnal. C’est d’ailleurs là où aboutira notre « héros », récemment promu à un poste au titre ronflant.
Tout cela laisse entrevoir une fracture de grande taille, une révolution potentiellement sanglante. Un peu à l’image de l’effondrement de l’ordre social, dans High Rise, le film tiré du roman d’anticipation des années 1970. Et pourtant, malheureusement, il n’en est rien. Les pointes de sarcasme et de cynisme, comme cette brève réponse « no passion » d’Ah Been, lorsqu’on lui demande, en début de film, s’il a la « Passion Card » pour acheter des fleurs destinées à sa mère, sont trop peu nombreuses, alors que le côté malveillant de cette entreprise du bonheur en teintes pastel est quasiment absent du film.
Que reste-t-il, alors, de ce long-métrage? Peu de choses, si ce n’est une parodie qui manque de dents, une satire qui ne fait pas vraiment mouche. Bref, Tiong Bahru Social Club est malheureusement beaucoup trop mièvre pour son propre bien. On aurait aimé un peu de Lord of the Flies, que diable!