À sa mort, il avait parcouru sur ses quatre pattes l’équivalent de deux fois la circonférence du globe. Et il est mort à un âge relativement jeune — pour un mammouth — de 28 ans.
C’est une de ses deux défenses qui a révélé toutes ces informations, ou plus exactement, les différents éléments chimiques emprisonnés dans cette défense de près de 2 mètres de long, lit-on dans une étude publiée le 13 août par la revue Science.
La grosse bête vivait il y a environ 17 000 ans. On estime que les derniers mammouths sont disparus il y a 10 000 ans, et que l’humain a contribué à leur déclin. Cette étude ne répondra pas à la question de la responsabilité humaine, mais elle ajoute beaucoup de pièces au casse-tête de ce qu’était la vie d’un mammouth: parce que d’ordinaire, les ossements révèlent peu sur la vie, surtout sur l’endroit où l’animal est mort. Et jusqu’à récemment, la technologie ne permettait pas d’étudier le « contenu » d’une défense aussi vieille avec un tel niveau de précision.
« C’est étonnant de voir tout ce qu’on peut apprendre à partir de petits morceaux d’un animal aujourd’hui disparu », commente dans le New York Times le professeur de géologie et d’anthropologie Brooke Crowley, de l’Université de Cincinnati, qui n’a pas participé à l’étude.
Il faut savoir que la défense d’un mammouth — ou d’un éléphant — grandit avec le temps, avec pour résultat que ces chercheurs d’une quinzaine d’institutions des États-Unis et du Canada ont tenté de reconstituer chronologiquement sa vie, depuis la pointe — sa jeunesse — jusqu’à la « couche » la plus rapprochée de la peau. Il faut aussi savoir que ce que mange n’importe quel animal laisse des traces chimiques qui peuvent parfois être associées à la géologie d’une région en particulier: par exemple, les différents niveaux de strontium présents dans la végétation. En fait, la technologie permet, chez un animal ou un être humain d’aujourd’hui, de repérer de telles empreintes dans les poils ou les dents: mais une défense — qui n’est rien de plus qu’une grosse dent — laisse plus d’espace pour chercher de telles empreintes.
La conclusion de l’équipe, sous la direction de Matthew Wooller, de l’Université de l’Alaska à Fairbanks, est que dans sa jeunesse, « Kik » — du nom de la rivière près de laquelle ses os ont été trouvés il y a 11 ans — a surtout vécu dans les régions intérieures de l’Alaska. Après 15 ans —correspondant peut-être à l’âge où les mâles sont éjectés d’un troupeau, comme chez les éléphants— il a parcouru de vastes régions correspondant au nord de l’actuelle Alaska, migrant parfois avec les saisons et s’aventurant jusqu’au sud et au sud-est. À la fin, ses mouvements avaient ralenti, et étaient davantage concentrés au nord du cercle Arctique, qui coupe aujourd’hui l’Alaska en deux. Il n’aurait jamais franchi le détroit de Bering pour aller musarder du côté de la Sibérie —peut-être, spéculent les chercheurs, en raison de l’état des sols, peu propices à un animal de son poids.