L’élévation mondiale de la mer sera de six à 11 cm d’ici 2100… rien que pour la contribution des fontes de l’Antarctique. Et ce, avec le scénario le plus optimiste de l’Accord de Paris, soit un réchauffement contenu à 2 degrés C. Deux autres degrés de plus, et on parlerait d’un mètre supplémentaire pour le niveau de la mer d’ici 2300.
Avec le réchauffement, les grands plateaux de glace s’amincissent et l’eau de fonte y creuse des crevasses. Cela augmente le « vêlage » (la rupture d’une falaise ou d’une barrière de glace) sur les bords de la calotte glaciaire, qui glisse de manière accélérée dans l’océan – et en fondant, contribue à la montée des eaux. « L’Antarctique a une taille aussi considérable que l’Amérique du Nord. Et il y a plus de perte estivale que de gain hivernal », explique la titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la géodynamique des interactions entre la calotte glaciaire et le niveau de la mer, Natalya Gomez.
Le continent le plus froid de la planète perd en effet des plumes, ou plutôt des masses glacées, de manière accélérée. Avec pour résultat, une hausse du niveau de la mer dont l’ampleur dépendra de l’ampleur du réchauffement planétaire.
L’Accord de Paris cible une hausse de 2 degrés maximale par rapport aux températures de l’ère pre-industrielle, afin de ralentir ou stopper le réchauffement climatique. Mais ce seuil de 2 degrés reste théorique . C’est pourquoi la Pre Gomez et ses collègues ont tenté de modéliser ce réchauffement sur les glaces de l’Antarctique et l’élévation des eaux, suivant les différents scénarios décrits par l’Accord de Paris.
Leur récente étude, publiée dans la revue Nature en mai — donc avant le dernier rapport du GIEC, qui tente lui aussi d’estimer la rapidité de la hausse du niveau des eaux — montre que, même limité à 2 degrés Celsius ou moins, la perte de glace antarctique se poursuivra tout au long du siècle à un rythme semblable à celui d’aujourd’hui. « Cela ne va pas stopper la fonte de la glace antarctique mais cela peut faire une grande différence pour éviter le pire des scénarios. Et nous sommes capables de faire un changement rapide, comme on l’a vu lors de la pandémie », relève la chercheuse, également professeure agrégée en sciences planétaires et de la Terre à l’Université McGill.
Si le réchauffement se poursuit comme aujourd’hui – et dépasse donc le pronostic modéré d’une hausse de 1,5 ou 2 degrés C pour atteindre ou dépasser 3 degrés C, les experts s’attendent à un point de non-retour dès 2060: la perte de bancs de glace — des étendues de glace de moins de 10 km — combinée à l’amincissement de la calotte glaciaire s’avère un processus dynamique qu’il sera difficile de renverser. Particulièrement avec le retrait de vastes parties de glace sous-marines sensibles aux instabilités du climat.
Ce qui pourrait même mener à une hausse de plusieurs mètres du niveau de la mer d’ici 2300: l’Antarctique est le plus grand réservoir de glace terrestre de notre planète – équivalent à 57,9 mètres de l’élévation globale de la mer.
Une contribution significative
« Cette étude fournit le premier examen complet de la contribution de l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer dans divers scénarios de changements climatiques liés à l’Accord de Paris », commente Luke Copland, professeur au Département de géographie, environnement et géomatique de l’Université d’Ottawa, qui n’a pas pris part à cette recherche.
En utilisant un modèle avancé qui tient compte des interactions entre l’atmosphère, l’océan, la calotte glaciaire et les plateaux de glace, il est clair que l’Antarctique apportera une contribution significative à l’élévation du niveau de la mer au cours du prochain siècle et au-delà, selon celui qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche en glaciologie.
« La quantité exacte de cette contribution est très dépendante de la quantité de réchauffement. Si le réchauffement atmosphérique de 3 degrés C au-dessus des niveaux préindustriels se produit d’ici la fin du 21e siècle – notre trajectoire actuelle – alors l’élévation du niveau de la mer en provenance de l’Antarctique sera d’environ 50% supérieure à celui que nous aurions si nous limitons le réchauffement à 2 degrés », précise-t-il.
Cela indique que des changements relativement faibles dans les émissions de gaz à effet de serre, par conséquent les politiques climatiques, peuvent avoir d’importantes répercussions plus tard. Et que le respect des engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris « réduira considérablement l’élévation du niveau de la mer au cours des décennies et des siècles à venir », tranche encore le Pr Copland.