Après un premier tome dépeignant les difficiles conditions de vie des habitants du bidonville de Paris à la fin du 19e siècle, la conclusion de L’Oiseau rare emprunte un ton plus léger avec une intrigue dans laquelle Sarah Bernhardt tient, bien malgré elle, le premier rôle.
Prenant place à la fin du 19e siècle dans la Zone, l’immense bidonville entourant la ville de Paris où s’entassaient les pauvres, les immigrants, les ouvriers, les anciens paysans, les voleurs et les prostituées chassés de la cité par la spéculation immobilière, le premier tome de L’Oiseau rare (lire notre critique ici) introduisait une sympathique bande de petites crapules composée d’Eugénie, une adolescente rêvant de devenir comédienne, de son grand-père Arthur, des frères Lucien et Constantin, et de Tibor, un ancien dompteur de cirque hongrois. Multipliant les magouilles et les petits larcins, cette famille reconstituée se partageait la monnaie de leurs combines, mais mettait les billets de côté pour financer la reconstruction de l’ancien théâtre des parents d’Eugénie, L’Oiseau rare, ravagé plusieurs années auparavant par un incendie.
Quand s’ouvre ce deuxième et dernier tome, Eugénie tente toujours de composer avec la mort d’Arthur et la révélation que ce dernier n’était pas son grand-père, mais plutôt le régisseur du cabaret de ses parents et le responsable de l’incendie dans lequel ils sont décédés. La bande sera forcée d’utiliser tout le magot accumulé depuis des années pour embaucher un avocat et faire libérer Tibor, emprisonné par la police à la fin de l’album précédent pour le vol de plusieurs animaux de cirque, dont un tigre blanc et un chameau. Eugénie relève haut la main le défi que lui a lancé son idole Sarah Bernhardt et parvient à réciter le monologue le plus long du théâtre français, soit celui de l’acte V, scène 3, de Figaro, mais la diva n’embauche pas l’adolescente comme comédienne, mais bien comme femme de ménage. Jamais le rêve de redonner vie à L’Oiseau rare n’aura semblé aussi inatteignable, et pourtant…
Tout en proposant à nouveau une plongée historique dans le Paris de la Belle Époque, la conclusion de L’Oiseau rare délaisse le misérabilisme et le côté Émile Zola qui caractérisait le premier tome pour prendre une tournure agréablement plus ludique. Finies les petites magouilles pour la bande de voyous, qui mettra sur pied une escroquerie ambitieuse cette fois-ci, dont on ne devine pas la nature avant la toute fin de l’album. Le récit laisse beaucoup de place à Sarah Bernhardt, la toute première star internationale qui, à la veille du changement de siècle, incarne la montée de cette nouvelle France sophistiquée et cultivée. Tout en respectant les faits et en incorporant son fils Maurice à l’intrigue, ainsi que sa résidence de cinq ans au Théâtre de la Renaissance, les scénaristes s’amusent du caractère exécrable de la diva, et brodent autour de cette figure mythique une arnaque complètement fictive.
Se basant sur des photographies d’archives, l’illustrateur Éric Stalner reconstitue le Paris du 19e siècle d’ans un style visuel plutôt classique, mais très efficace. Il délaisse un peu le bidonville dans ce second tome pour se consacrer aux quartiers plus cossus de la Ville Lumière. Rues pavées, lampadaires antiques, fiacres autour du Théâtre de la Renaissance, mansardes des toits, ses dessins redonnent vie à la Belle Époque avec beaucoup de réalisme. Non seulement sa Sarah Bernhardt est très ressemblante, mais l’artiste aime croquer les badauds aux gueules improbables s’agglutinant dans les rues. Avec leurs nez exagérés ou leurs dents proéminentes, les personnages composant ses foules anonymes sont dignes des figurants d’un film de Fellini, qui raffolait des visages atypiques et presque caricaturaux. L’album se termine sur un cahier graphique de quelques pages.
Utilisant pour décor le Paris de la Belle Époque et intégrant la grande actrice Sarah Bernhardt à son intrigue, L’Oiseau rare trouve le parfait mélange entre Histoire et fiction afin de créer un récit intemporel, et aussi attachant que sa bande de filous.
L’Oiseau rare, tome 2 : La grande Sarah, de Cédric Simon et Éric Stalner. Publié aux éditions Grand Angle, 64 pages.