Icône, pilier monumental de la chanson, reine de la soul, diva… Disons que la seule évocation du nom de Aretha Franklin impose beaucoup de choses en tête et c’est un peu pourquoi on ressort de Respect, son film biographique, un peu sur notre faim, puisque ce dernier n’arrive jamais à atteindre le firmament de son sujet.
Aretha est surtout connue pour sa stature et, bien sûr, ses chansons, et si le film nous offre la salade habituelle des biopics, il ne s’intéresse pas nécessairement à l’aspect le plus bruyant de la carrière de l’artiste, n’en déplaise à un passage pratiquement obligé dans ses propres abysses. On aurait pu surfer sur ses déboires, sur ses grands élans plus activistes et on en passe. Et bien que ces aspects soient bien sûr énumérés, on se surprend au contraire à y découvrir un être fragilisé et d’une douceur inouïe; cela permet à son interprète, Jennifer Hudson, de briller plus que jamais. Celle qui s’est fait connaître au grand écran en faisant beaucoup de bruit dans Dreamgirls et le personnage forte en tête qu’était Effie White, qui lui a d’ailleurs valu son Oscar, trouve ici sa performance la plus subtile et délicate à ce jour.
En fait, il est intéressant de constater que Hudson ne cherche pas nécessairement à personnifier Franklin, mais plutôt à en livrer sa propre interprétation. La pression était toutefois là, comme elle a été personnellement choisie par Franklin, qui a été directement impliquée dans la production du film jusqu’à sa mort.
Que ce soit physiquement ou en voix, comme elle interprète les pièces du film, difficile d’oublier que Hudson est derrière celle qu’on nomme et présente comme Aretha Franklin, surtout que, Dieu merci, on n’a pas voulu jouer la carte des prothèses comme dans l’infâme Bohemian Rhapsody. Sauf qu’elle ne lui ressemble pas (d’ailleurs personne ressemble à personne dans ce film, de Tituss Burgess en Reverend Dr. James Cleveland, ou même Gilbert Glenn Brown en Martin Luther King Jr.) et si l’on peut passer à travers ce détail, il devient plus simple de se lancer dans le long-métrage qui joue beaucoup trop sagement le point par point, comme une page Wikipédia.
Il est étonnant tout de même que le scénario de Tracey Scott Wilson, derrière la télésérie biographique beaucoup plus éclatée qu’était Fosse/Verdon, soit aussi chronologique et prenne aussi peu de risques. Les dates filent et défilent et les tonalités discordantes des nombreux événements se succèdent sans nécessairement de fluidité ou même de liens par moment. On aurait aimé quelque chose de plus libre, comme l’était le mésestimé Get on Up, le très surprenant film sur James Brown avec feu Chadwick Boseman. Peut-être que ce passage au grand écran pour Liesl Tommy, qui n’a fait que de la télévision jusqu’à présent, explique pourquoi il manque de cinéma dans tout cela.
Longueurs et survols
On essaie quand même des effets ici et là, comme des ralentis ou de recréer le look des documentaires ou de la télévision en noir et blanc, mais impossible d’y croire tellement ceux-ci sont utilisés avec facilité et sans véritable soin esthétique pour aspirer à ce qu’on suppose qu’ils voulaient accomplir.
Ainsi, même si le film dépasse les deux heures, on a l’impression de seulement survoler la carrière de l’artiste et de ne jamais vraiment entrer en profondeur dans quoique ce soit de précis sauf peut-être ceux plus facile pour bien faire réagir le public. Avec des moments choisis et des répliques envoyées avec aplomb, on aime choquer et on reste dans l’air du temps en mettant bien au-devant à quel point Franklin a constamment souffert de la masculinité toxique qui l’a entourée et contrôlée toute sa vie.
Pourtant, il était plus qu’intéressant d’aborder sa musique comme un exutoire et une manière de s’exprimer face à tous les démons de son quotidien. Il était aussi intéressant de trouver la voix, dans tous les sens du terme, d’une femme qui s’effaçait beaucoup la plupart du temps dans la vie de tous les jours. Par contre, si l’on essaie ici et là de démontrer la genèse de quelques chansons phares, on ne dépasse pas vraiment les procédés habituels, comme c’était le cas dans Ray par exemple.
Reste alors les chansons et les rythmes, la possibilité de vouloir chanter ici et là et de taper du pied, évidemment. Il faudra d’ailleurs attendre le générique qui incorpore une de ses dernières performances pour ressentir toute l’émotion et l’ébahissement qu’on aurait voulu vivre durant le film qui précède ce moment d’archive.
Il était également judicieux de vouloir terminer le tout avec sa performance au New Temple Missionary Baptist Church qui a donné Amazing Grace, son album le plus vendu de sa carrière. Et si la reconstitution vaut son pesant d’or, Respect souffre toutefois de devoir passer après Amazing Grace, le documentaire du même nom que l’album en question tourné durant l’enregistrement. Celui-ci, sorti il y a à peine trois ans après plusieurs décennies de gestation, s’avérant un testament beaucoup plus intéressant et saisissant pour prendre compte de toute l’immensité de Aretha Franklin. On se retrouve donc avec un film trop sage et convenu pour un personnage aussi grand et important, comme c’est trop souvent le cas.
5/10
Respect prend l’affiche en salles ce vendredi 13 août. Plusieurs représentations spéciales ont lieu jeudi soir.