Plusieurs médias traditionnels ont joué un rôle inattendu dans la croissance des quatre faux comptes Twitter les plus populaires de l’IRA, l’Internet Research Agency, en Russie, qui ont été créés pour répandre la désinformation dans le cadre de la campagne présidentielle américaine de 2016, selon une étude dirigée par un chercheur en communication de l’Université de Buffalo.
Durant environ deux ans, à partir de la fin de 2015, ces comptes sont passés du statut d’inconnus à celui de microcélébrités, avec environ 100 abonnés, au départ, pour ensuite dépasser les 100 000. Avec leurs abonnés prêts à répandre la « bonne nouvelle » – à l’instar de tous les publics engagés sur Twitter, l’IRA pouvait déployer des messages de façon stratégie et offrir des résultats statistiques concrets, ce qui créait une illusion d’autorité et d’authenticité qui a souvent échappé au regard scrutateur de la plupart des gens et de nombreux journalistes professionnels.
Les republications frénétiques, effectuées par ce que l’étude a révélé comme étant des enclaves idéologiques extrêmes, ont certainement alimenté la croissance en terme d’abonnés, mais Yini Zhang, professeure adjointe en communications, affirme que les médias, traditionnels et hyperpartisans, ont également grandement amplifié la portée des messages de l’IRA et contribué à cette hausse du nombre d’abonnés en incluant, sans le savoir, le contenu des tweets de l’IRA dans leurs contenus.
Selon Mme Zhang, il existe par ailleurs une asymétrie idéologique dans les résultats de l’étude. Des quatre faux comptes Twitter examinés, @TEN_GOP et @Pamela_Moore13 se sont fait passer pour des trolls conservateurs, tandis que @Crystal1Johnson et @glod_up ont imité des progressistes.
« Nous n’avons pas observé le même effet chez les comptes progressistes et conservateurs », a-t-elle indiqué. « Les deux comptes conservateurs ont reçu un grand coup de pouce de la part des médias traditionnels et hyperconservateurs qui reprenaient des tweets dans leurs reportages, mais nous n’avons pas vu les grands médias, ni les médias hyperprogressistes faire de même pour les deux comptes plus libéraux. »
Plusieurs facteurs en jeu
Les conclusions de l’étude, publiées dans Journal of Communication, révèlent de quelle façon le grand nombre d’abonnés sur les médias sociaux peut souvent dépendre d’une série de facteurs sur chaque plateforme spécifique, en plus du traitement médiatique des messages provenant de celles-ci.
Les preuves révélées dans l’étude offrent un aperçu de l’écologie de l’environnement de la communication politique du 21e siècle, ce qui suggère que les gens ont tendance à chercher une confirmation et avoir des interactions avec des informations qui confirment leurs opinions, et de la façon dont le désir des médias d’obtenir l’attention du public. Le tout peut favoriser les acteurs de la désinformation.
Dans ce cas-ci, des tentatives pour fournir davantage d’informations en intégrant du contenu traditionnel et numérique a ironiquement entraîné la dissémination des fausses nouvelles, ce que Mme Zhang définit comme de l’information fabriquée qui vise à cause du tort de façon à avantager ses créateurs.
« Le fait d’examiner le comment et le pourquoi de la croissance si rapide de ces comptes nous permet de comprendre les mécanismes de l’accroissement de l’influence à l’ère numérique », soutient la chercheuse. « Rien de tout cela n’était intentionnel. C’est une question de réalités opérationnelles. »
« Mais avec ces connaissances, nous pouvons commencer à nous attaquer au problème de la désinformation. »
Pour la spécialiste, le processus d’incorporation de contenu numérique au sein des médias traditionnels a du sens, mais nécessite une réflexion minutieuse.
« Le contenu des médias sociaux semble très attrayant, en raison des mesures d’épargne dans les médias, et de la perte de revenus publicitaires. Mais il démontre aussi l’existence d’une vulnérabilité au sein de l’industrie médiatique. »