Un édifice s’effondre. Une trentaine de corps sont retirés des décombres. Une centaine de résidents sont toujours « portés disparus », bien que plus personne n’entretienne des doutes sur leurs chances de survie. Comment leurs proches peuvent-ils vivre cette forme de deuil? Il existe un concept à ce sujet en psychologie: la perte ambigüe.
C’est, en gros, ce sentiment d’avoir perdu un être cher, mais sans la certitude, ce qui empêche de pleurer le défunt et de faire son deuil, résume la psychologue américaine Pauline Boss, de l’Université du Minnesota. L’experte qui a développé ce concept de « perte ambigüe » dans les années 1970, accorde une entrevue à ce sujet au Scientific American, dans le contexte de la tragédie survenue récemment en Floride.
C’est une situation douloureuse, mais « étonnamment fréquente », note le magazine: que ce soit après l’effondrement d’un édifice, ou après une catastrophe naturelle, ou après la disparition d’une personne… Et ça arrive même lorsque le décès est bel et bien confirmé, mais qu’on n’a pas pu voir le corps, comme la pandémie elle-même l’a souvent rappelé: les confinements ont empêché beaucoup de gens de faire leurs adieux à leurs parents, ou d’organiser des rituels religieux ou familiaux.
« C’est le type de perte le plus difficile, selon Pauline Boss, parce que c’est rendu plus compliqué par le fait de ne pas savoir… C’est dans une zone grise. » Et ça peut conduire à des dépressions et à « l’immobilisation de tout le processus quotidien —aller au travail et ce genre de choses. »
Boss, dont le prochain livre profite de la pandémie pour critiquer l’idée qu’un deuil doive absolument se terminer par l’équivalent d’une porte qu’on referme derrière soi (The Myth of Closure) est également l’auteure de Ambiguous Loss: Learning to Live with Unresolved Grief (Harvard University Press, 2000).
L’important est de laisser du temps, rappelle-t-elle au Scientific American. « La recherche montre que la peine n’a pas à avoir une fin et que de fixer une limite de temps peut causer du tort. »