Qu’obtenez-vous lorsque vous prenez la moitié de l’un des duos musicaux les plus influents des 20 dernières années, et que vous lui offrez toute la latitude voulue pour créer? Vous obtenez quelque chose comme Escapades, un album électro et rétro qui se laisse tranquillement apprivoiser, en plus de faire largement appel à la nostalgie.
Surtout connu pour faire partie de Justice, le groupe techno et électro français qui a su, avec les années, affiner son style pour sortir un peu de son rôle d’anti-Daft Punk pour établir sa propre marque, ses propres influences, Gaspard Augé marque ici une rupture encore plus marquée avec les influences non seulement de l’électro français, mais aussi de l’électro tout court.
Tout débute avec Welcome, cette introduction d’à peine 38 secondes, qui rappelle l’orgue électronique des années 1970, et qui vient donner le ton. Car non seulement Augé fait voyager ses mélomanes dans l’espace, il les fait voyager dans le temps. Le temps, d’abord, avec ce retour aux sources de l’électronique, c’est-à-dire les années 1970 et peut-être le tout début des années 1980.
Justice faisait déjà la part belle aux instruments du passé, surtout lors de leurs plus récents albums, mais voilà qu’Augé règle le tout sur « 11 », comme le diraient les amateurs de Spinal Tab. Synthétiseurs d’époque, en tout premier lieu, sans oublier les orgues électroniques et leurs sonorités si particulières. Sans oublier l’utilisation d’un instrument tout sauf numérique ou électronique: la bonne vieille batterie.
Son utilisation est répandue à travers l’album, mais c’est bien sûr dans Force majeure, le premier simple du disque, qu’on l’entendra avec grand plaisir. Il faut dire que le vidéoclip de cette pièce a été tourné dans la fabrique de cymbales de l’entreprise Zildjian, qui produit encore ses instruments à l’aide d’une méthode vieille de plusieurs décennies, voire de plus d’un siècle.
La Turquie, et à plus large titre, ce que représente la Turquie, c’est-à-dire un mariage entre l’Occident et l’Orient, est d’ailleurs au coeur d’Escapades. Que ce soit tantôt avec des pièces aux sonorités davantage associées à l’Europe ou aux États-Unis, tantôt avec des morceaux qui rappellent plutôt l’Est, notamment des sons qui évoquent franchement Moskau, le grand succès de Dschinghis Khan, la formation allemande qui imitait des musiciens et des titres russes, Augé mélange les déclinaisons sonores et les genres.
Cela va aussi pour les images choisies pour les divers clips et miniatures des pièces de l’album. Tout s’y télescope: un ancien projet domiciliaire turc abandonné qui prend des allures de film de science-fiction de série B des années 1970, des thèmes évocateurs des steppes de l’Oural, des sons qui rappellent l’émergence du New Wave… Le résultat musical demande un certain temps d’adaptation, même pour les grands amateurs de Justice.
Cela étant dit, il y a quelque chose de franchement bien travaillé et de fort abouti dans le travail d’Augé, et on aurait franchement tort de s’en passer. Cet opéra de « turkish disco » prouve que le musicien a de l’imagination à revendre. Un grand avantage pour les amateurs de découvertes.