Ces dernières semaines, l’hypothèse voulant que le virus de la COVID-19 se serait « échappé » par accident d’un laboratoire en Chine est revenue dans l’actualité. S’il est impossible de trancher à ce stade, le Détecteur de rumeurs peut néanmoins faire le tri entre ce qu’on sait et ce qu’on ignore.
Origine naturelle: la recherche des plus proches parents
Pour de nombreux chercheurs en maladies infectieuses, l’hypothèse la plus plausible est que le SRAS-CoV-2 ait une origine naturelle et aurait été transmis d’une chauve-souris à une personne par l’intermédiaire d’un autre animal. Un chemin à première vue plausible puisqu’il a été emprunté par plusieurs maladies infectieuses récentes comme le sida (le virus responsable, le VIH, a un proche cousin chez les grands singes), l’Ebola et le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère).
Le SRAS-CoV-2, virus responsable de l’actuelle épidémie, et le SRAS-CoV, à l’origine de l’épidémie de SRAS en 2002-2003, sont deux coronavirus, qui font partie du sous-genre des Sarbecovirus et présentent des points communs. Ils appartiennent à deux lignées différentes qui se sont séparées il y a quelques décennies.
Depuis 2002, plusieurs chercheurs se sont penchés sur les coronavirus et les chauves-souris, connus comme réservoir des Sarbecovirus. Ils ont ainsi découvert des génomes de coronavirus présentant des similarités avec le SARS-CoV-2.
Les plus proches parents sont le RATG13, découvert dans des fèces d’une chauve-souris Rhinolophus affinis en 2013, et le RmYN02, découvert aussi dans les fèces de chauve-souris Rhinolophus malayanus collectés en 2019, dans la province méridionale chinoise du Yunnan. Mais le génome de RATG13 n’est identique qu’à 96 % à celui du SRAS-CoV-2 et celui du RmYN02, à 94 %, ce qui suggère qu’un parent encore plus proche du virus transmis à l’homme reste inconnu, ou qu’il aurait transité par un intermédiaire animal.
Le virus pourrait également provenir d’ailleurs en Asie. Des chercheurs de l’Institut Pasteur du Cambodge (IPC) ont trouvé deux variants d’un nouveau virus proche du SRAS-CoV-2, nommés RshSTT182 et RshSTT200, dans des échantillons prélevés en 2010 sur des chauves-souris du nord du Cambodge. Ce virus, décrit plus tôt cette année sur le site de prépublication bioRxiv, présente une similarité de 93 % avec le SRAS-CoV-2.
L’intermédiaire animal: une recherche complexe
L’animal qui aurait permis au coronavirus de passer de la chauve-souris à l’humain n’a pas encore été identifié, près d’un an et demi après le début de la pandémie. Cet « échec » alimente les partisans d’une fuite de laboratoire.
Mais en réalité, les enquêtes sur l’origine des épidémies peuvent prendre des années et, parfois, ne pas aboutir. Il a fallu 14 ans pour remonter la piste de l’épidémie de SRAS de 2002-2003, qui a commencé avec un virus chez les chauves-souris avant de se propager aux humains, très probablement par l’intermédiaire des civettes masquées (Paguma larvata). Quant au virus Ebola, à ce jour, un virus complet n’a jamais été isolé chez un animal.
La tâche est complexe parce que les épidémies chez les animaux qui ne sont pas les principaux hôtes d’un virus sont sporadiques. Les chercheurs doivent donc trouver le bon animal avant qu’il ne meure ou n’élimine l’infection. Et quand l’animal est testé positif, les virus trouvés dans la salive, les selles ou le sang sont souvent dégradés, ce qui nuit au séquençage du génome du virus.
Les chercheurs ont avancé depuis le début de la pandémie. Ils ont identifié deux virus ayant des similitudes avec le SRAS-CoV-2 chez des pangolins malais de l’espèce Manis javanica, saisis par les douanes chinoises, dont l’origine géographique n’a pas été établie, mais la similitude n’est que de 85 à 90 %.
Dans leur quête de l’animal hôte intermédiaire, des chercheurs en Chine ont testé plus de 80 000 animaux sauvages et domestiqués sans trouver de cas positif pour le SRAS-CoV-2. Les chercheurs estiment qu’il faudra des tests plus stratégiques pour isoler les animaux les plus sensibles à l’infection et ceux qui entrent en contact étroit avec les humains.
Labo: la quête de l’empreinte d’une fuite
Le scénario d’une fuite d’un laboratoire suppose généralement que des chercheurs conservent un virus pour étudier ses propriétés et mieux comprendre comment il se propage, peut-être à travers des expériences de « gain de fonction » dans lesquelles les agents pathogènes sont modifiés – par sélection ou par modification du génome – pour être rendus plus nocifs ou plus facilement transmissibles. Ces recherches visent à anticiper d’éventuelles mutations naturelles, et étudier à l’avance, en labo hautement sécurisé, leur mode d’infection éventuel.
Dans un tel scénario, une personne dans le laboratoire pourrait avoir été accidentellement ou délibérément infectée par le virus, puis l’avoir transmis dans sa communauté, déclenchant la pandémie.
Ces scénarios ne sont pas impossibles, mais il n’y a aucune preuve documentée pour les appuyer.
L’Institut de virologie de Wuhan a une longue histoire de collecte et d’analyse des coronavirus de chauves-souris. Il a signalé avoir travaillé avec le virus RaTG13, le plus proche parent connu du SRAS-CoV-2. Mais tout « proche parent » qu’il soit, il demeure génétiquement assez éloigné du SRAS-CoV-2 et il n’est clairement pas son ancêtre immédiat.
Le contre-argument à cela est qu’il y a des raisons de croire que l’institut n’a pas toujours été entièrement transparent. Par exemple, en novembre 2020, un addendum à un article de Nature sur RaTG13 révélait que des échantillonnages dans une mine de la province du Yunnan, où ce virus a été découvert, avaient aussi identifié huit autres coronavirus de type SRAS jusqu’alors inconnus, sans donner plus de détails sur ceux-ci. Cela ne signifie pas que ces virus sont liés à celui qui nous intéresse : ils pourraient eux aussi être des parents lointains. Mais à l’heure actuelle, on n’en sait rien.
De plus, historiquement, les fuites de laboratoire n’ont provoqué que de petites épidémies impliquant des virus bien documentés. Par exemple, en 2004, deux chercheurs ont été infectés indépendamment par le virus qui cause le SRAS dans un laboratoire de virologie à Pékin qui étudiait la maladie. Ils ont infecté sept autres personnes avant que l’épidémie ne soit contenue.
La quête de l’empreinte d’une manipulation génétique
Certains partisans d’une fuite vont au-delà du scénario du virus inconnu étudié en laboratoire et qui s’en serait échappé, et soutiennent que le virus contient des caractéristiques inhabituelles et des séquences génétiques indiquant qu’il a été « fabriqué » ou manipulé par l’homme. Le virus possède, entre autres, un « site de clivage de la furine », une partie de la protéine de pointe qui l’aide à pénétrer dans les cellules pour les infecter. De nombreux coronavirus disposent de cet outil, mais le SRAS-CoV-2 est le seul membre du sous-genre Sarbecovirus à en avoir un.
Une autre région de la protéine de pointe, le « motif de liaison au récepteur », semble être très bien adaptée pour s’accrocher aux cellules humaines. Cette adaptation a aussi été observée dans le virus du SRAS-CoV-1.
Mais il y a ici aussi un contre-argument : des sites de clivage de la furine sont présents chez d’autres coronavirus non apparentés au SRAS-CoV-2, tels que les coronavirus qui provoquent le rhume, ce qui indique qu’ils peuvent apparaître naturellement.
En outre, le site de clivage de la furine et le motif de liaison au récepteur sont des caractéristiques typiques présentes dans de nombreux autres virus naturels. Un article publié par des chercheurs de l’Université de ShanghaiTech en Chine rapporte que les sites de clivage de la furine sont courants dans la famille des coronavirus et semblent avoir évolué indépendamment, à plusieurs reprises, dans différentes lignées. Cela soutient l’hypothèse d’origine naturelle, disent les auteurs.
Enfin, l’idée soutenue par certains à l’effet que la rapide propagation du SARS-CoV2 serait une preuve qu’il a été créé à cette fin, ne colle pas avec l’évolution du virus lui-même. Il se propage aussi parmi les visons et des mammifères carnivores. Et il a fallu des mois avant que n’apparaissent des variants qui se propagent, eux, plus efficacement. Par exemple, le variant B.1.617.2 ou Delta, identifié pour la première fois en Inde, présente des mutations qui semblent rendre le virus plus apte à infecter les cellules, selon une étude publiée le 28 mai sur le site de prépublication BioRxiv.
Verdict
Les hypothèses d’un virus d’origine naturelle et d’une fuite de laboratoire doivent être laissées sur la table pour le moment, tant que les chercheurs n’auront pas terminé leurs investigations. Un exercice qui pourrait s’avérer frustrant, parce qu’il pourrait prendre des années et nécessitera l’appui des autorités chinoises, ce qui s’est avéré difficile jusqu’ici.