Chaque famille possède ses secrets, mais certains sont si terribles qu’ils peuvent finir par avoir des conséquences funestes, comme le montre La Fée Assassine, un roman graphique d’une infinie tristesse réalisé par le couple Sylvie Roge et Olivier Grenson.
Le docteur Thibault Duval partage sa vie depuis maintenant plus de trois ans avec Fanny Duroy. En décembre 2006, sa conjointe s’apprête à recevoir sa sœur jumelle et sa mère pour le réveillon, auquel il ne peut assister puisqu’il est de service à l’hôpital. Quelques heures plus tard, lorsque la police le contacte et l’informe qu’ils viennent de procéder à l’arrestation de sa douce moitié, soupçonnée de meurtre, ce dernier est complètement abasourdi et n’arrive pas à croire que celle qu’il appelle affectueusement « mon ange », puisse être capable de poser les gestes qu’on lui reproche. Par l’entremise de maître Garelle, l’avocat choisi pour la défendre, la jeune femme raconte peu à peu la rancœur, la tristesse, les non-dits, et toutes les choses enfouies en elle depuis tant d’années qui l’ont amenée à perdre la raison à la veille de Noël, et à commettre l’irréparable.
Après avoir passé plus de vingt-cinq ans dans le domaine médical et de l’accompagnement aux patients, Sylvie Roge signe un premier roman graphique profondément humain, et illustré de main de maître par son conjoint, Olivier Grenson. Bien que l’événement déclencheur de La Fée Assassine soit un double meurtre, le récit est beaucoup plus proche du drame familial que du polar. On y découvre la complicité et la fidélité à toute épreuve unissant Fanny et sa sœur Tania, et comment la violence psychologique peut être tout aussi dommageable pour les enfants que les sévices physiques alors que leur mère, une femme cruelle et acariâtre, mettra tout en œuvre pour que les jumelles deviennent des adversaires, accordant de l’affection et des cadeaux à l’une au détriment de l’autre, sous prétexte que les deux fillettes lui ont fait perdre Ralph, l’homme de sa vie et leur père.
Les illustrations au crayon de plomb et à l’aquarelle d’Olivier Grenson dans La Fée Assassine sont d’une grande beauté, et chaque case de la bande dessinée est un pur délice pour les yeux. Grenson rend aussi bien les paysages, comme les rues achalandées de Paris durant la cohue du temps des Fêtes ou les plages bucoliques du Touquet, que les moments plus intimes et dramatiques, où l’on discerne toutes les émotions complexes traversant le visage de ses protagonistes. L’album possède une ambiance très mélancolique, appuyée par une palette de couleurs délavée, proche des vieilles photos sépia, ce qui fait ressortir encore plus les touches de rouges parsemant ses planches, comme les boules dans le sapin de Noël, les ballons s’envolant dans le ciel, les imperméables des jumelles, le cuir du fauteuil du barbier, ou les gouttes de sang dont est maculée Fanny lors de son arrestation.
Bien qu’il s’agisse de son tout premier scénario, Sylvie Roge révèle toute l’ampleur de ses talents d’auteure avec La Fée Assassine, une bande dessinée qui réussit l’exploit de susciter de l’empathie et de la compassion pour une meurtrière.
La Fée Assassine, de Olivier Grenson et Sylvie Roge. Publié aux éditions Le Lombard, 192 pages.