Si, pour plusieurs, la bande dessinée est synonyme d’évasion et de divertissement, elle est aussi capable d’être instructive, comme le prouve Et l’homme créa les dieux, un album passionnant qui s’attaque à l’un des plus épineux sujets qui soit: la religion.
Bien qu’elle existe depuis des temps immémoriaux, la croyance en des entités divines soulève son lot d’interrogations. Pourquoi existe-t-il des religions plus ou moins partout? Pourquoi prend-elle des formes aussi variées? Pourquoi a-t-elle tant d’importance pour les hommes? Pourquoi la religion prescrit-elle des rituels? Pourquoi trouve-t-on des spécialistes dans la plupart des religions? Pourquoi la religion semble-t-elle porteuse de vérité? Pourquoi existe-t-il des Églises et des institutions religieuses? Pourquoi la religion persiste-t-elle face au raisonnement scientifique? Pourquoi la religion suscite-t-elle des émotions puissantes? Pourquoi les gens tuent-ils en son nom? Pourquoi pousse-t-elle à l’héroïsme ou au sacrifice? Pourquoi certains hommes croient-ils? Voilà autant de questions essentielles qui sont examinées en profondeur par la bande dessinée Et l’homme créa les dieux.
Adapté de l’essai de Pascal Boyer, professeur à l’Université Washington de Saint-Louis au Missouri et chercheur au CNRS dans les domaines de l’anthropologie et de la psychologie, Et l’homme créa les dieux utilise le prétexte d’un souper entre amis et d’une discussion à bâtons rompus, où les invités posent des questions et s’objectent à certaines hypothèses avancées, pour aborder des thèmes aussi complexes que le sacré, les rituels, les doctrines, le rapport au surnaturel et à la mort, la morale, la cohésion sociale et l’esprit de groupe, le fanatisme et le fondamentalisme. La particularité du livre est de traiter de ces sujets à travers les découvertes en psychologie, en linguistique, en anthropologie et en biologie de l’évolution, faites par des personnes qui ne pensaient pas que leurs travaux puissent aider à expliquer le sentiment religieux. Au final, il ne s’agit pas d’un ouvrage sur la théologie en tant que telle, ni d’un jugement sur les croyants, puisque ce sont les mécanismes mentaux œuvrant à la fabrique de la foi et à l’émergence des religions qui sont disséqués ici.
Il s’agit d’un sujet plutôt métaphysique, intangible pour une bande dessinée, et il n’est pas évident d’illustrer les croyances, les esprits invisibles ou les théories scientifiques, mais Joseph Béhé possède un talent remarquable pour traduire ces concepts en images. Travaillant au crayon de plomb et au feutre, il croque des scènes se déroulant à travers le globe et les époques, de New York à Bénarès en passant par le Big Bang, insérant à l’occasion des schémas scientifiques. Il esquisse une série de cases montrant sensiblement la même scène, avec le Pape au Vatican, un sorcier africain dans son village, ou un shaman dans une tribu préhistorique, afin de montrer les similitudes entre les cultes, ou présente une vue de coupe d’un cerveau avec des domestiques à l’intérieur afin d’expliquer les mécanismes mentaux à l’œuvre. Il termine l’album sur des suggestions de lectures, et les sources ayant servi à l’essai.
Constituant une magistrale œuvre de vulgarisation qui satisfera la curiosité des athées comme des croyants (du moins, ceux dont la science est compatible avec leur foi), Et l’homme créa les dieux est une lecture stimulante, qui apporte des réponses nouvelles à des questions fondamentales que l’humanité se pose depuis la nuit des temps.
Et l’homme créa les dieux, de Joseph Béhé (d’après l’essai de Pascal Boyer). Publié aux éditions Futuropolis, 368 pages.