En adaptant Yellow Cab, le roman autobiographique de Benoit Cohen, un réalisateur français en manque d’inspiration devenu chauffeur de taxi à New York, Christophe Chabouté livre un hommage vibrant à la plus célèbre des métropoles américaines.
En 2014, après deux décennies passées à scénariser et réaliser des films, dont Tu seras un homme, Les Violette ou Les Acteurs anonymes, Benoit Cohen sent une certaine lassitude l’envahir. Quittant Paris pour s’installer à New York, il manifeste le désir d’exercer un métier « concret », où il ne se triturerait pas le cerveau jour et nuit. Il décide alors de devenir chauffeur de taxi, et de se plonger corps et âme dans la culture américaine afin d’y trouver l’inspiration pour un nouveau scénario, mais au fil des journées derrière le volant, il s’aperçoit avec surprise qu’il préfère transporter des étrangers à travers la ville que de passer ses journées devant son ordinateur à écrire. L’artiste aurait-il trouvé une nouvelle vocation?
Y’a-t-il quelque chose de plus foncièrement new-yorkais que les taxis jaunes sillonnant les rues de la Grosse Pomme? Comme l’écrit si justement Benoit Cohen, « le Yellow Cab, c’est l’essence même de New York, c’est le cinéma, c’est Taxi Driver, c’est De Niro, Scorcese, Jarmusch, c’est Breakfast at Tiffany’s, The Game de Fincher, Brando dans Sur les quais, James Cagney, Audrey Hepburn, Ben Gazzara, Benny the Cab… C’est une fenêtre sur la folie, l’énergie, la diversité et la violence de cette ville ». C’est probablement ce qui explique qu’à travers ce simple récit autobiographique d’un réalisateur français adoptant temporairement le métier de chauffeur de taxi, on perçoit les contours même de l’âme de l’Amérique.
Très instructive, la première partie de Yellow Cab révèle qu’à l’école de taxi, il n’y avait aucune femme, et que la plupart des chauffeurs habitent Jackson Heights, un quartier d’immigrés où sont parlées plus de 167 langues. La bande dessinée dévoile aussi les démarches que doivent entreprendre les personnes souhaitant exercer ce métier, entre les cours de defensive driving, les examens, et les tests antidopage. Le processus est si long qu’il faudra six mois à Benoit Cohen pour obtenir sa licence. Il ne se retrouvera derrière le volant qu’à la page 76, et après avoir effectué dix-huit courses, il récoltera 206,45$, moins 129,17$ pour la location de la voiture et 150$ pour les contraventions, pour une première journée qui lui coûtera finalement 70$!
Le reste de l’album se présente comme une succession de rencontres et de portraits new-yorkais. Les tatoués, les travelos, les drogués, les hommes d’affaires, les malades se rendant à l’hôpital, ceux qui se confient comme chez le psy, ceux qui ne disent mot, ceux qui ont des conversations indiscrètes au téléphone, chaque course est une nouvelle histoire, et si quelques centimètres seulement séparent l’avant de l’arrière du taxi, c’est en réalité d’un fossé qu’il s’agit. Avant d’être une bande dessinée, Yellow Cab se déclinait sous la forme d’un roman, et le texte est très littéraire, avec de jolies formules comme « Hier matin, j’ai transporté un client asiatique, puis hollandais, ensuite guinéen et pour finir slovaque… En quatre courses, j’ai fait le tour du monde ».
Christophe Chabouté est un véritable virtuose du noir et blanc. Il croque les lieux mythiques de New York avec énormément de détails et de réalisme, comme Wall Street, Penn Station, le Chelsea Hotel, ou le fameux banc de parc donnant sur le Brooklyn Bridge et immortalisé par Woody Allen dans Manhattan. Ses illustrations transmettent à merveille l’ambiance de cette ville survoltée où les clochards côtoient les hommes d’affaires en complet veston, avec son héros noyé dans la foule new-yorkaise, le métro bondé où les gens sont cordés comme des sardines, ou ses vues aériennes sur les embouteillages. Son Benoit Cohen est très ressemblant, et il met souvent en scène les regards à la dérobée que ce dernier jette à ses clients par le biais du rétroviseur. Bref, c’est un album graphiquement époustouflant.
Chabouté signe une autre œuvre inoubliable avec Yellow Cab, une bande dessinée touchante qui invite le lecteur à prendre place à bord d’un emblématique taxi jaune pour un voyage au cœur de la ville de New York, et de la psyché humaine.
Yellow Cab, de Christophe Chabouté (d’après le roman de Benoit Cohen). Publié aux éditions Glénat dans la collection Vents d’Ouest, 168 pages.