À l’image de Joe Sacco et de son excellent Payer la terre, l’auteure et anthropologue Emmanuelle Dufour est partie à la rencontre des autochtones d’ici afin d’apprendre à les connaître, et elle partage le fruit de ses recherches dans la bande dessinée C’est le Québec qui est né dans mon pays!
Même si on a tendance à ne pas vouloir regarder la réalité historique en face, le Canada et le Québec se sont bâtis sur le génocide d’Amérindiens qui étaient là bien avant nous, sur le vol de leurs terres, et sur une campagne massive de déracinement de leur culture et d’assimilation. Nous ne sommes évidemment pas responsables des gestes commis par nos ancêtres il y a plus de quatre cents ans, et ce n’est pas comme si on pouvait simplement remonter dans un bateau et retourner en France, mais si nous souhaitons une meilleure cohabitation du territoire et une véritable réconciliation, il faudrait peut-être en apprendre davantage sur les membres des Premières Nations, et l’album C’est le Québec qui est né dans mon pays! offre l’une des façons les plus simples, et ludiques, de prendre conscience des réalités autochtones.
C’est durant un voyage en Nouvelle-Zélande en 2004, alors qu’une jeune Maorie lui demande de lui parler des « Indiens de chez elle », qu’Emmanuelle Dufour constate l’ampleur de son ignorance sur le sujet. Elle entame alors un dialogue avec des représentants des Premières Nations, en interviewant plus d’une cinquantaine de personnes, dont Lise Bastien (directrice du Conseil en éducation des Premières Nations), Jacques Kurtness (ex-négociateur pour les Innus et professeur de psychologie à la retraite), Melissa Mollen Dupuis (cofondatrice du mouvement Idle No More Québec), Ellen Gabriel (porte-parole de la communauté de Kanehsatà:ke lors de la crise d’Oka), ou Michelle Audet (commissaire de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées), et ce sont ces entretiens que l’on retrouve dans C’est le Québec qui est né dans mon pays!.
Se présentant comme un carnet de rencontres, C’est le Québec qui est né dans mon pays! ne porte pas de jugement, mais tente plutôt d’établir des ponts entre les membres des Premières Nations et les Québécois. Très instructif, l’album revisite des événements historiques majeurs du point de vue des Amérindiens, que ce soit les pensionnats autochtones, les réserves, la Loi sur les Indiens, le portrait présenté dans les manuels d’Histoire, ou les stéréotypes et les préjugés véhiculés par la culture populaire. Une large partie de la bande dessinée est d’ailleurs consacrée à la crise d’Oka à l’été 1990, un affrontement qui a fortement teinté la perception de la population à l’égard des Amérindiens, laissant de part et d’autre des cicatrices qui ne se sont toujours pas refermées.
C’est le Québec qui est né dans mon pays! n’est pas une bande dessinée conventionnelle, avec cases et phylactères, mais plutôt une mosaïque de textes et de dessins en noir et blanc effectués dans plusieurs signatures graphiques différentes. D’un trait réaliste, Emmanuelle Dufour effectue le portrait des personnalités qu’elle interviewe. Dans un style évoquant Picasso, elle livre une fresque en l’honneur de sa jeunesse dans le 450, ou illustre le martyre des frères Brébeuf et Lalemant comme des enluminures médiévales. Puisant abondamment dans la culture populaire, elle reproduit la célèbre photo où le soldat Cloutier et le Mohawk Lasagne se font face lors de la crise d’Oka, ainsi que des Unes du Journal de Montréal de l’époque, la couverture de Tintin en Amérique, les images du sketch « Super Mohawk » de 100 Limites, ou celles de la parodie de Daniel Boone par RBO.
Alors que l’on parle de plus en plus de réconciliation, C’est le Québec qui est né dans mon pays! constitue une lecture incontournable pour mieux connaître les Premières Nations, et mettre un terme à plus de quatre siècles de « non-rencontre » entre Autochtones et Allochtones.
C’est le Québec qui est né dans mon pays!, d’Emmanuelle Dufour. Publié aux éditions Écosociété, 208 pages.
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