Il n’y a pas à dire, Michel Tremblay sait comment écrire une pièce de théâtre. Et son oeuvre, solidement ancrée dans le milieu ouvrier des années 1940, 1950 et 1960, résonne encore avec une force peu commune, de nos jours. À preuve, Le vrai monde?, mise en scène par Henri Chassé et jouée en ce moment au Théâtre du Rideau Vert, à Montréal.
Claude a longtemps tout gardé pour lui. En fait, toutes ses frustrations, toutes ses peines, tout son mépris… tout cela est allé dans une pièce de théâtre où il rapporte ce qu’il a vu pendant toutes ces années passées entre les mêmes murs où vivent ses parents et sa soeur, mais aussi où il enjolive, enlaidit, fait dire des choses, en tait d’autres.
Le résultat, véritable brûlot sur les non-dits et l’horreur ordinaire d’une famille qui l’est tout autant – si tant est que cela soit possible –, sera d’abord présenté à la mère, celle qui endure les tromperies de son mari depuis des années, et celle qui garde en elle le souvenir de cette violence verbale, cet ennui, cette douleur du vide d’une existence banale. Voire même la haine et la rage ressentie il y a quelques années, quand son mari a failli commettre l’irréparable.
Le vrai monde? s’articule largement autour de deux principes: d’abord, le fait (ou non) d’accepter de reconnaître « ouvertement » ce climat plus que toxique, tel que mentionné dans la pièce, et ainsi de tenter de s’affranchir de ces influences négatives, ce qui mènerait à un divorce houleux, mais possiblement salvateur, en fin de compte.
Ensuite, une tentative visant à réconcilier la réalité avec ce que Claude a imaginé pendant toutes ces années, remplaçant les non-dits par des répliques acérées, et plaçant dans la bouche de sa « mère » les déclarations qu’il aurait voulu lancer au visage de son père.
Sur scène, les spectateurs ont droit à une pièce dédoublée, où les « vrais » acteurs observent parfois les acteurs de la pièce créée par Claude, mais sans jamais interagir directement avec eux. Il en résulte un jeu de chassé-croisé franchement intéressant où l’on ne sait jamais ce qui est le plus « authentique », entre les déclarations imaginées, mais s’appuyant sur la réalité, et les vrais échanges teintés de silences, de déclaration de façade et de mensonges.
Tremblay aurait pu s’en tenir là, avec une pièce à deux aspects, cette confrontation entre la réalité et la fabulation, mais on découvre aussi, au long des 100 minutes de la pièce, l’esquisse de quelque chose d’autre. Les fondations d’une troisième réalité, la « vraie », celle-là. Et voilà sans doute ce qui fait de Le vrai monde? une excellente pièce. Ça et, bien sûr, l’interprétation des acteurs. Impossible, certes, de ne pas imaginer une édition spéciale de Radio Enfer!, avec trois acteurs de la célèbre série pour adolescents, mais le jeu de Michel Charette, Isabelle Drainville et François Chénier est simplement excellent.
Seule ombre au tableau, pour des gens vivant dans Hochelaga-Maisonneuve, ou tout autre endroit à ce point distant du théâtre, rentrer chez soi après la fin de la pièce, vers 19h20, et éviter le couvre-feu à 20h, tient quelque peu de la course. Mais cela n’est certainement pas imputable au Théâtre.
Impossible, par ailleurs, d’obtenir des billets pour des représentations en salle. En raison des restrictions sanitaires, tout est complet. Heureusement, la pièce sera bientôt filmée et donc disponible en format vidéo.
Le vrai monde?, de Michel Tremblay. Mise en scène d’Henri Chassé, avec Michel Charette, Charli Arcouette, François Chénier, Isabelle Drainville, Charles-Alexandre Dubé, Catherine Audrey-Lachapelle et Madeleine Péloquin. Au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 6 juin.
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