C’est avec une certaine incrédulité qu’une partie des États-Unis, puis du reste du monde, a observé la croissance du mouvement QAnon. Les adeptes de cette mouvance affirment qu’une cabale satanique et pédophile contrôle secrètement le gouvernement américain, voire la planète. Pourtant, l’histoire que raconte QAnon n’a rien de nouveau, a constaté le Détecteur de rumeurs.
Les premiers messages cryptiques d’un internaute signant sous le pseudonyme « Q » sont apparus en octobre 2017 sur des forums anonymes. Présentés sous forme d’énigmes, ces messages incitaient les internautes (« Q » n’a plus écrit depuis l’élection de novembre) à faire leurs propres recherches, mais les interprétations tournaient autour d’un thème commun: une élite secrète, composée entre autres de milliardaires et de vedettes hollywoodiennes, gouverne le monde et se livre à du trafic d’enfants, à de la pédophilie, et même à du cannibalisme ainsi qu’à des pratiques satanistes. Or, ces théories s’inspirent de croyances anciennes, souvent antisémites, remontant parfois jusqu’au Moyen âge.
Une origine de la rumeur
Plus près de nous, les allégations de QAnon présentent une filiation avec la « croisade anti-satanique » qui a pris naissance aux États-Unis dans les années 80. Cette « théorie » a convaincu des milliers de personnes qu’un réseau mondial de gens riches élevait et kidnappait des enfants à des fins de pornographie, de trafic sexuel et de sacrifice rituel. Les rapports d’abus rituels se sont révélés partiellement ou entièrement fabriqués, mais pas avant que des dizaines d’innocents aient été faussement accusés.
Une telle « croisade » a refait surface lors du Pizzagate, une rumeur devenue virale pendant la campagne présidentielle américaine de 2016. Des influenceurs et des médias de droite avançaient que les références à une pizzeria populaire de Washington, dans les courriels volés du directeur de campagne d’Hillary Clinton, étaient un code secret pour un réseau de trafic d’enfants. En décembre 2016, un homme armé s’est présenté à ce restaurant pour « sauver » les enfants prétendument enfermés au sous-sol (il n’y avait ni enfants… ni sous-sol).
Des racines antisémites
Mais on peut remonter plus loin dans le temps. QAnon puise en effet dans de très vieilles croyances en des complots antisémites. Pour Jay Rubenstein, directeur du Center for the Premodern World à l’Université de Californie du Sud (USC), et pour Bob Shrum, directeur du Center for the Political Future de la même université, QAnon a ainsi une parenté avec ces prophètes de l’Apocalypse qui, au Moyen âge, croyaient qu’un Antéchrist d’origine juive prendrait le contrôle des événements mondiaux à des fins néfastes.
Or, rappellent les deux chercheurs dans une entrevue sur le site de l’USC, pour les adeptes de QAnon, une cible fréquente est l’investisseur et philanthrope milliardaire américain issu d’une famille juive de Hongrie, George Soros, accusé de tirer les ficelles dans l’ombre.
L’idée « moderne » d’une puissante cabale juive dirigeant le monde vient d’un faux document publié en Russie en 1903, Les Protocoles des Sages de Sion: celui-ci prétendait rapporter une réunion secrète de dirigeants juifs cherchant à dominer le monde par les institutions et les marchés financiers mondiaux. À cet égard, l’historien Richard J. Evans, historien à l’Université de Cambridge, et le spécialiste du génocide Gregory Stanton, décrivent QAnon comme un « groupe nazi rebaptisé » et ses théories comme une nouvelle version de ces Protocoles.
« Certains d’entre eux croient que la dynastie bancaire juive Rothschild, aidée et encouragée par le financier George Soros » est derrière un complot juif mondial, ajoutait Richard Evans dans le Irish Times en février dernier. « De telles croyances ont des conséquences concrètes: les disciples de QAnon étaient nombreux dans la foule qui a donné l’assaut au Capitole, à Washington, le 6 janvier. » Plusieurs symboles néonazis et antisémites ont d’ailleurs pu être observés.
« Des éléments archétypiques de QAnon, y compris les élites secrètes et les enfants kidnappés, reflètent les théories historiques et actuelles du complot antisémite », résumait un article de la Jewish Telegraphic Agency en août 2018. Pour le Times of Israel en 2020, tout comme pour le Washington Post et le magazine The Forward, le ciblage par QAnon de personnalités juives notoires comme George Soros et les Rothschild, sont des « éléments antisémites frappants ».
Enfin, une affirmation moins connue est elle aussi enracinée dans les mythes antisémites: la récolte d’une substance appelée adrénochrome. En 2020, les adeptes de QAnon soutenaient que les élites hollywoodiennes retiraient l’adrénochrome du sang des enfants et l’ingéraient pour prolonger leur vie. Une croyance qui aurait ses origines dans un film et dans un roman. Mais là encore, des historiens du Moyen âge n’ont pas manqué d’y voir une façon de revisiter des accusations, remontant au moins au XIIe siècle, voulant que les Juifs tuaient des enfants et en buvaient le sang. Une légende de « meurtre rituel » qui, au fil des siècles, est redevenue régulièrement la justification de crimes commis contre les membres de la communauté juive.
Pour l’Anti-Defamation League, une organisation américaine de lutte contre l’extrémisme, bien que les théories du complot défendues par QAnon ne s’affichent pas comme antisémites, « une revue » des tweets de QAnon sur Israël, les juifs, les sionistes, les Rothschild et Soros, a révélé des « exemples troublants » d’antisémitisme.
Verdict
QAnon s’inspire des théories du complot qui ont jalonné l’histoire pour fournir une explication paranoïaque et simpliste, tout en les adaptant au goût du jour.
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