Les meilleures pratiques journalistiques qu’on essaie de développer depuis quelques années contre la désinformation, pourraient-elles être transposées aux films et aux séries télé?
Le point commun: raconter une histoire, pointent les chercheuses en communication et désinformation Claire Wardle et Whitney Phillips. Tout étudiant en journalisme apprend qu’un sujet complexe sera plus digestible si on peut le présenter en partie sous la forme d’une narration: le reportage, plutôt que de seulement expliquer un problème ou une crise, servira en partie à raconter le parcours d’une personne (ou de personnes) qui incarne ce problème. De son côté, le scénariste d’un film ou d’une série télé doit évidemment, lui aussi, raconter une histoire, à ceci près qu’il dispose d’une énorme marge de manoeuvre, n’étant pas soumis au devoir de s’en tenir aux faits.
Or, ce n’est pas aussi sûr, écrivent Wardle et Phillips dans un court document intitulé Disinformation goes to Hollywood et publié en mars par First Draft, organisme de recherche sur la désinformation. L’auteur d’une fiction a lui aussi une responsabilité: plus son public est ému par une histoire, plus ce public est susceptible d’y croire et de se sentir concerné. Conséquence, lorsque leurs histoires mettent en scène des extrémistes ou de la violence identitaire, les auteurs de fictions « devraient agir avec la plus grande prudence ».
Comment? S’inspirer des journalistes. Par exemple, le premier réflexe du scénariste qui veut faire une histoire sur les complotistes serait de raconter du point de vue du complotiste. Alors que les journalistes ont souvent, dans la dernière année, dirigé leur attention vers les proches du complotiste, ceux qui sont affectés par ces dérapages. Avantage de cette démarche: on évite l’image —fausse— de l’extrémiste « loup solitaire », parce qu’on se retrouve obligé de donner du contexte.
Autre exemple: éviter le piège de « la lumière qui désinfecte » soit cette idée reçue selon laquelle, contre des extrémistes qui complotent dans l’ombre, la meilleure arme serait de braquer les projecteurs sur eux. Les journalistes ont compris depuis longtemps que ça ne fonctionne que lorsque l’auteur et son audience sont déjà convaincus. Dans le cas contraire, résument Wardle et Phillips, « la lumière n’est pas un désinfectant: elle est de la publicité ».
Sur Twitter, Claire Wardle fait un lien entre ces conseils et le documentaire de HBO sur le mouvement QAnon, qui est diffusé ces jours-ci. Alors qu’on s’attend à voir apparaître d’autres productions du genre, on risque tout autant, dans la foulée de l’insurrection du 6 janvier à Washington, de voir des fictions s’inspirer de ces événements. « Il y a des façons par lesquelles Hollywood pourrait jouer un rôle important, en contribuant à une prise de conscience des stratégies et des techniques utilisées par ceux qui tentent de faire avancer de la désinformation. »