La situation frappe l’imaginaire: en France, des viniculteurs alimentent avec diligence des milliers de petits feux installés parmi les vignes, afin d’éviter le gel des raisins. Mais le combat est perdu, affirment des chercheurs: une période de chaleur plus importante qu’à l’habitude, à la fin de mars, a été suivie par plusieurs journées de froid intense, ce qui a provoqué des pertes supérieures de 90% à la normale. Au dire de scientifiques de l’Université de l’Arctique, en Norvège, ainsi que de l’Université d’Oulu, en Finlande, la lutte des producteurs français témoigne de la complexité et de l’imprévisibilité des changements climatiques.
Pour Alun Hubbard, du CAGE Center for Arctic Gas Hydrate, Environment and Climate, à l’Université de l’Arctique, c’est paradoxalement la fonte des glaces dans l’Arctique qui a entraîné ces périodes de grands froids sur le Vieux Continent. Avec une catastrophe environnementale et économique allant notamment de la région de Bordeaux à celle de Champagne.
« Les changements climatiques ne se manifestent pas toujours de la façon la plus évidente. Il est facile d’extrapoler à partir de modèles pour démontrer que les hivers sont plus chauds et d’envisager un avenir virtuellement sans neige en Europe, mais notre plus récente étude indique cela est trop simpliste. Nous devrions prendre à garde à ce genre de déclaration englobante à propos des impacts des changements climatiques », affirme le professeur Hubbard.
La glace fondante de l’Arctique a fourni 88% de la neige fraîche
M. Hubbard est le coauteur d’une étude publiée dans Nature Geoscience, et qui se penche sur ce paradoxe climatique contre-intuitif: une réduction de 50% de la couverture de glace océanique dans l’Arctique a accentué l’évaporation de l’eau, alimentant du même coup les chutes de neige importantes enregistrées plus au sud, à travers l’Europe.
L’étude, menée par la Dre Hanna Bailey, de l’Université d’Oulu, en Finlande, a précisément découvert que le déclin sur le long terme de la couche de glace océanique dans l’Arctique, depuis la fin des années 1970, avait un lien direct avec un événement météorologique spécifique: la « Bête de l’Est », la chute de neige en février qui a entraîné le blocage d’une partie de l’Europe, en 2018, entraînant du même coup des pertes économiques d’environ 2 milliards de dollars par jour.
Les chercheurs ont découvert que de la vapeur atmosphérique se déplaçant vers le Sud, en provenance de l’Arctique, transportait une « empreinte » géochimique unique, révélant que sa source était en fait les eaux chaudes et libres de la mer de Barents, qui fait partie de l’océan Arctique entre la Norvège, la Russie et Svalbard. Ils ont constaté que pendant la « Bête de l’Est », ces conditions d’eau libre de la mer de Barents avaient fourni 88% de la neige tombée sur l’Europe.
« Ce que nous constatons, c’est que la glace océanique est en fait un couvercle sur les océans. Et avec la réduction à long terme en Arctique, nous constatons que de plus grandes quantités d’humidité se retrouvent dans l’atmosphère en hiver, ce qui a un impact direct sur le climat plus au sud, et provoque des chutes de neige extrêmes. Cela semble contre-intuitif, mais la nature est complexe et ce qui se produit ne reste pas nécessairement dans l’Arctique », a déclaré la Dre Bailey.
En analysant les tendances à long terme depuis 1979, les chercheurs ont découvert que chaque mètre carré de glace océanique hivernale perdu dans la mer de Barents correspondait à une augmentation de 70 kilos de l’évaporation, de l’humidité et de la neige tombée sur l’Europe.
Selon eux, d’ici 60 ans, une mer de Barents potentiellement libre de glace pourrait devenir une source importante de précipitations hivernales accrues pour le Vieux Continent, que ce soit de la pluie ou de la neige.
« L’étude illustre le fait que les changements abrupts constatés à travers l’Arctique affectent en fait l’ensemble de la planète », soutient le professeur Hubbard.