Pas de répit de Pâques pour la COVID-19 au Québec: une nouvelle vague est en train de prendre son élan — ou l’a déjà pris, dépendamment des critères utilisés — propulsée par des variants contagieux issus des mutations du SRAS-COV-2. Peut-on l’empêcher?
« L’augmentation des variants était prévue et ils seront prépondérants en avril en raison de leur excès de contagiosité évaluée à près de 40% – entre 30 et 150%, selon ce document de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)– et cela en dépit des actuelles mesures en place », relève Gaston De Serres, médecin-épidémiologiste à l’INSPQ. De fait, les cas de variants sont à la hausse dans la majorité des régions.
Les chiffres de l’INSPQ montrent que la courbe grimpe gaillardement depuis le début de février. De 9% des cas de coronavirus recensés le 20 février, les quatre variants dits « à surveillance rehaussée » (les quatre plus contagieux) oscillaient entre 16 et 20% dans la première semaine de mars et atteignaient 30% à la mi-mars. Les experts s’attendaient à ce que ces variants deviennent dominants au Québec avant la mi-avril mais ils ont pour la première fois dépassé la barre des 50% le 26 mars. Le 5 avril, la moyenne sur 7 jours dépassait les 60%. Si la tendance se maintient, au début de mai, plus de 90% des cas de coronavirus détectés au Québec seront des variants.
« C’est global et ils ont multiplié par deux leur taux d’incidence – et même par trois pour la dernière semaine de mars, ce qui a multiplié d’autant le nombre d’éclosions », s’alarme la Dre Liliana Romero, directrice de la santé publique du CISSS de Chaudière-Appalaches, qui comprend Lévis.
Cette hausse galopante provoque la récente intensification des mesures : plus de traçages des contacts, périodes de dépistage et d’isolement étendues à l’ensemble de la maisonnée, fermeture plus systématique des classes, etc.
Mais restreindre la propagation des variants s’avère compliqué. En Chaudière-Appalaches par exemple, eême s’il s’agit d’un petit nombre de cas, ils s’éparpillent sur un grand territoire. De 14 cas début mars, on est passé à 36, puis ça s’est multiplié par trois: le 23 mars, il y avait 102 cas de variants dits « présomptifs par criblage » pour augmenter à 294 cas le 31 mars.
Ils progressent dans tous les milieux socioéconomiques, toutes les tranches d’âge et très rapidement sur l’ensemble du territoire. Tout comme Laval avec Montréal, c’est la proximité avec la Capitale-Nationale qui expliquerait la propagation: le pont facilite la circulation des travailleurs et des écoliers. « Les premiers cas étaient en lien avec ceux de Québec, des cas associés. Aujourd’hui, toutes les municipalités de Chaudière-Appalaches sont touchées », confirme la directrice de la santé publique.
Et ça ne s’arrête évidemment pas à Chaudière-Appalaches. « Cela augmente fortement dans toutes les régions depuis début mars, ce qui est préoccupant car les variants sont plus contagieux et plus virulents (plus graves) », rappelle Gaston De Serres. On craint, mais les données à ce sujet sont encore incomplètes, qu’ils échappent aussi dans certains cas, à l’immunité acquise par la vaccination – autrement dit, qu’une personne vaccinée puisse être réinfectée.
Laval et Lanaudière, liées à Montréal
La progression des « rejetons » du coronavirus a été fulgurante depuis deux mois: à Laval, de 3 à 5% début février, ils représentaient 27 à 29% des nouveaux cas dans la 3e semaine de mars, pour atteindre 33% à la fin mars. « La moitié des variants sont dû à des éclosions dans le milieu scolaire», explique le Dr Jean-Pierre Trépanier, directeur de santé publique du Centre intégré de santé et de services sociaux (CIUSSS) de Laval.
La transmission lavalloise ressemble à celle de Montréal, deux villes très touchées par les première et deuxième vagues. Selon le Dr Trépanier, la prochaine ressemblera à la 2e — plus communautaire, chez des plus jeunes et dans les milieux de travail. « Ce qui se passe à Montréal va se transmettre à Laval en raison de leurs nombreuses interactions populationnelles, source de transmission communautaire comme on l’a vu avec les travailleurs de la santé ».
Et même si l’adhésion aux mesures reste encore bonne, le Dr Trépanier remarque une lassitude et des relâchements : « C’est plus difficile à tenir pour tout le monde, à Laval comme à Montréal ».
Les variants passent les ponts et se propagent dans les municipalités proches. Terrebonne, Mascouche, Repentigny, Des Moulins: la Dre Lynda Thibault, directrice de la santé publique du Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière, constate qu’il y a des variants un peu partout.
Dans la région de Lanaudière, avec 306 cas actifs de variants en date du 3 avril, « c’est encore sous contrôle » explique-t-elle. Mais ça progresse vite là aussi: « de 11% début mars, nous sommes passés à 34% à la fin de mars. » Ce qui l’inquiète pour avril, en raison de la mobilité de la population —une partie travaille à Montréal.
Différents types de variants
Quatre variants particulièrement contagieux, font l’objet d’une plus grande surveillance : le plus présent au Québec est, de loin, celui du Royaume-Uni (B.1.1.7) avec 1400 des 1600 cas confirmés en date du 3 avril. On n’avait identifié que 7 cas de variant issu du Nigéria (B.1.525) – dont 5 cas à Montréal – et 2 cas du variant du Brésil (P1). Enfin, on en a identifié plus de 150 de celui d’Afrique du Sud (B.1.351). Parmi eux, la grande majorité sont en Abitibi-Témiscamingue.
En fait, là-bas, tous les cas de variants sont issus de cette lignée. Arrivé dès janvier, ce variant a été confirmé en février et se répartit actuellement sur presque tout le territoire abitibien où il est devenu dominant: il représentait, au début d’avril, 70% des cas de coronavirus. « Nous ne l’avions pas vu arriver et il nous fait travailler beaucoup plus, sans que nous ayons pu retracer le lien », explique la Dre Omobola Sobanjo, médecin-conseil à la Santé publique de cette région. La proximité avec l’Ontario pourrait constituer une piste de cette propagation.
La région mise sur l’intensification du traçage de contacts et la vaccination pour contenir la propagation. Les rassemblements privés et les écoles constituent les principales sources. « Nous allons à la piste des informations de contacts, mais il faut faire avec ce qu’on a», convient la médecin-conseil.
Une mosaïque alarmante de propagation
La situation est contrastée. En Outaouais, on avait cumulé depuis un mois, en date du 3 avril, deux fois plus de cas qu’au Bas-Saint-Laurent, mais cela représentait, de part et d’autres, le même taux, soit un peu plus de 160 cas pour 100 000 habitants. Et la progression au Bas-Saint-Laurent s’avère plus rapide.
Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, les cas sont plus rares, mais dispersés sur un grand territoire. « C’est plus tannant que la première alerte, car cela signifie qu’ils sont entrés de plus d’une façon », explique le Dr Donald Aubin, directeur régional de la santé publique du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Et en Gaspésie, qui n’a identifié aucun variant —et seulement huit cas de coronavirus en deux semaines— « nous considérons tous les cas comme des variants non confirmés. Ce n’est pas parce que cela va bien qu’il faut se relâcher », note Jean Morin, adjoint par intérim à la PDG et aux relations avec les médias du CISSS de la Gaspésie.
Nouvelles mesures, nouvelles habitudes
Repasser en rouge était un traitement-choc nécessaire, pense la Dre Romero de Chaudières-Appalaches. « Adéquat pour la situation, et je me demande même si cela sera suffisant. Cela dépendra de la situation épidémiologique qui suivra Pâques ».
Dans cette région, deux zones se distinguent : l’axe nord avec le grand Lévis, où la population adhère bien aux mesures, et l’axe sud, la Beauce, où le relâchement est courant. « Nous y trouvons des groupes anti-masques et des personnes qui ne le portent pas, comme des entrepreneurs de la construction très mobiles. C’est plus difficile », signale la Dre Romero.
La grande mobilité des travailleurs à proximité des plus grosses municipalités contribue aussi à la propagation. « J’espère que la fatigue pandémique va pousser les gens à se faire vacciner, particulièrement les travailleurs de la santé », relève encore la Dre Thibault de Lanaudière.
L’adhésion moins systématique de la population aux mesures – l’ensemble des experts interrogés pour cet article notent un certain relâchement – pourrait mettre en péril beaucoup de choses en avril, en commençant pas une hausse des hospitalisations. « Les mesures actuelles sont encore insuffisantes pour contrôler la propagation contagieuse des variants », tranche même Gaston De Serres. Ce qui se passe en Europe – par exemple, un nouveau confinement en France – donne un avant-goût de ce qui pourrait se passer ici dans quelques semaines, si les variants gagnent plus de terrain que la vaccination.