Ce ne sont pas tous les bédéistes québécois qui parviennent à se tailler une place de l’autre côté de l’Atlantique, mais après avoir publié Comment je ne suis pas devenu moine chez Futuropolis, Jean-Sébastien Bérubé récidive avec un second album autobiographique chez le même éditeur intitulé Vers la tempête, et Pieuvre.ca a eu la chance de discuter avec l’artiste natif de Rimouski.
Dans Vers la tempête, tu parles de tes deux grandes passions, la bande dessinée et le karaté… Tout d’abord, d’où te vient l’envie de faire de la bande dessinée? Est-ce qu’il y a un artiste ou un album qui t’a fait dire « C’est ça que je veux faire »?
Jean-Sébastien Bérubé : Oui. Je pense que l’artiste qui m’a vraiment fait prendre la décision de faire de la bande dessinée, c’est Pierre Seron, l’auteur de la série Les Petits Hommes. Je lisais ça dans les années 1980-1990… Dans le fond, Pierre Seron, c’est comme une copie de Franquin, parce qu’il a littéralement copié son style de dessin, mais moi, quand j’étais jeune, je ne savais pas ça. En plus, c’était de la science-fiction, il y avait des vaisseaux spatiaux, puis j’étais fasciné par ça… Les Petits Hommes ont aussi fait des « crossovers » avec Le Scrameustache. Je lisais ça à dix-douze ans, puis je me disais, « Hey, je veux faire de la bande dessinée! ».
Qu’est-ce qui t’attire particulièrement dans ce médium-là?
Jean-Sébastien Bérubé : Les dessins. En fait, raconter des histoires avec des dessins. Quand j’étais jeune, je voyais les bandes dessinées, puis ça me fascinait, comment ils arrivaient à raconter des histoires en utilisant le langage de la bande dessinée, les cases, les bulles, les personnages… Quand j’étais jeune, j’étais attiré par tout ce qui était visuel, que ce soit les bandes dessinées ou les graphiques dans les jeux vidéo. Plus tard, à l’adolescence, il y a eu le manga avec Dragon Ball, et tout ce qui était anime japonais à la télévision. Je regardais beaucoup la version des Trois Mousquetaires, qui était une collaboration France-Japon, et j’aimais beaucoup le côté visuel des dessins. En plus, pour moi, la bande dessinée est un moyen d’expression qui permet de raconter des choses. C’est comme ça que je me suis mis à faire de la bande dessinée. Je me disais que je ne ferais pas de cinéma, parce que dans ma tête, le cinéma c’était trop gros! En plus, quand j’étais jeune, je bégayais beaucoup, et à cause de ça, je me disais que je ne pourrais jamais devenir réalisateur. C’est pour ça que j’ai choisi la voie de la bande dessinée, parce que ça avait l’air accessible pour moi.
Dans Vers la tempête, tu parles également de ton autre passion, le karaté. Qu’est-ce qui t’a poussé vers le karaté?
Jean-Sébastien Bérubé : Je n’ai pas fait de karaté pendant mon adolescence, parce que je portais un corset orthopédique, mais quand j’étais enfant, je pense à l’âge de neuf ans, je voulais faire des arts martiaux parce que j’avais vu des films de Bruce Lee… J’avais vu Les Tortues Ninja aussi (rires). Le dessin animé, puis ensuite les films. J’avais tous les jouets, avec Shredder et tout ça, j’adorais ça! Tu sais, le côté asiatique, la philosophie orientale, puis la pratique des arts martiaux en tant que tel comme sport de combat et d’autodéfense. Les arts martiaux, ça m’attirait parce que, pour moi, c’était une façon d’avoir un mode de vie santé, d’être en forme, d’être fort physiquement, et de compenser le manque de confiance que j’avais en moi, à cause du bégaiement encore…
Le karaté ou les arts martiaux, c’est quelque chose que tu peux pratiquer tout seul. Si tu fais du judo, t’as besoin de partenaires pour pratiquer les prises, mais le karaté, ça se pratique tout seul. J’ai fait beaucoup de choix de vie en fonction de mon problème de bégaiement, et pour moi, le karaté, ça marchait parce que je n’avais pas besoin de parler pour faire ce sport-là. Si j’avais choisi un sport d’équipe, comme le basketball ou le hockey, il aurait fallu que je parle à mes coéquipiers, et ça aurait été problématique, surtout que j’étais victime d’intimidation et de moqueries à cause de mon bégaiement. Ça a fait en sorte que, dans mon enfance à l’école puis à l’adolescence au secondaire, j’avais des problèmes, parce que le monde riait de moi. Donc, le karaté pour moi, c’était bon, parce que je pouvais faire ce sport-là. Puis en même temps, j’avais envie d’apprendre à me battre.
Ça peut sembler éloigné, la bande dessinée et le karaté, mais est-ce que tu trouves qu’il y a des points communs entre ces deux passions-là? Par exemple, la discipline, la pratique quotidienne, ou le fait que les deux t’ont causés des maux de dos?
Jean-Sébastien Bérubé : Oui, les deux m’ont causés des problèmes de dos, les deux m’ont causés des problèmes de tendinites chroniques dont je n’ai pas parlé dans Vers la tempête parce que je ne vivais pas encore ça à cette époque-là. Tout ça est venu plus tard. Mais oui, ce sont deux disciplines qui demandent beaucoup de concentration, et aussi des sacrifices de vie. Être discipliné pour faire du karaté et pour faire de la bande dessinée, ça implique de renoncer à plusieurs choses pour réussir là-dedans. Se lever le matin et se donner un coup de pied dans le derrière pour pratiquer. C’est le point commun que je vois entre la bande dessinée et le karaté, ce sont deux disciplines qui demandent des efforts et de la concentration… Par rapport à tout ça, je veux faire la suite de Vers la tempête éventuellement, j’ai commencé à l’écrire, et contrairement à Vers la tempête, je veux parler du fait que trop pousser, épuiser son corps, ce n’est pas bon pour la santé. Parce que j’ai vraiment poussé mon corps au-delà de ce qu’il était capable de prendre, et j’ai payé les conséquences. Je me suis retrouvé avec plein de blessures chroniques, des tendinites, et donc, je vais parler de ça dans ma prochaine BD. Dans Vers la tempête, les gens ont vu ma pratique du karaté et comment je me suis donné à fond là-dedans, puis dans la suite, je vais parler qu’il y a une conséquence à ça.
Tu as signé une série de bandes dessinées historiques sur Radisson, et tu as maintenant produit deux albums autobiographiques. Est-ce que tu préfères les histoires vraies, et est-ce que tu te vois écrire un récit de fiction un jour?
Jean-Sébastien Bérubé : C’est une bonne question… Quand j’étais au secondaire, je publiais de la bande dessinée dans le journal étudiant de l’école, et c’était juste des bandes dessinées fantastique ou de science-fiction, parce que c’est ça que je lisais, c’est ça que j’aimais. Quand j’ai commencé à faire Radisson, c’est mon père qui avait eu cette idée-là et qui voulait que je fasse Radisson en bande dessinée, parce que mes projets de BD n’intéressaient pas les éditeurs. Pour le moment, je fais Radisson et mes bandes dessinées autobiographiques, parce qu’il y en a tellement sur le marché, des bandes dessinées de science-fiction ou de fantastique. Moins au Québec, mais beaucoup en Europe, aux États-Unis, et au Japon… Ça fait en sorte que, pour le moment, je n’ai pas l’impression d’avoir quelque chose à dire qui pourrait emmener quelque chose de plus au milieu de la bande dessinée de science-fiction. Alors que bon, dans le cas de Radisson, ben, c’est simple là, il n’y a pratiquement pas de bandes dessinées historiques au Québec. Il y a eu Louis Riel de Chester Brown, puis il y en a eu d’autres là… Je sais que Jean-Paul Eid et François Lapierre ont publié une bande dessinée sur l’histoire de Montréal, mais des bandes dessinées historiques au Québec, il n’y en avait pas ben ben, et donc Radisson, c’était bon pour ça.
Dans le cas de Comment je ne suis pas devenu moine, je suis arrivé avec une BD qui « clashait » avec l’image cliché du bouddhisme qu’on connaît dans les films d’Hollywood. Chaque fois que je fais une bande dessinée, c’est toujours en fonction d’apporter quelque chose qui n’a pas été fait encore. Pour Vers la tempête, c’est un peu la même chose. Il y a beaucoup de bandes dessinées sur les arts martiaux au Japon, mais pas ici. Dans Vers la tempête, il y a le côté du karaté, mais il y a aussi le côté qu’on connaît peu. Je veux dire que les gens autour de moi, ils ne connaissent pas beaucoup en quoi ça consiste de pratiquer le karaté pour vrai. Les gens ont l’image du film Karate Kid dans la tête, mais ce n’est pas la réalité. Moi, je voulais montrer la réalité du sport, comment ça peut être brutal. Puis aussi, dans Vers la tempête, il y a la partie psychologique, le cheminement, la croissance personnelle, le travail sur soi. C’est quelque chose qu’on ne voit pas beaucoup en bande dessinée non plus… À chaque fois, j’essaie d’aborder un sujet qui est peu exploité en bande dessinée. C’est comme ça que j’arrive à tirer mon épingle du jeu. Si j’arrive du jour au lendemain avec un projet de fiction ou de science-fiction, dépendamment de ce que ça raconte, je ne sais pas si un de mes éditeurs serait intéressé à le publier.
Tu t’es livré avec vraiment beaucoup de générosité dans Vers la tempête. Est-ce que c’est difficile de confier sa propre vie dans une bande dessinée, ou est-ce que de replonger dans des souvenirs parfois douloureux constitue une forme de catharsis?
Jean-Sébastien Bérubé : Oui, j’ai trouvé ça dur. J’ai trouvé ça pas mal plus dur que je pensais… Quand j’ai fait Comment je ne suis pas devenu moine, j’ai beaucoup ri, parce que je me moquais de moi-même, de comment j’étais au Tibet et à Katmandu (rires). Faut dire que j’ai attendu plusieurs années pour avoir le recul et la maturité avant de faire Comment je ne suis pas devenu moine et Vers la tempête. Parce que Comment je ne suis pas devenu moine, si j’avais raconté cette histoire-là à mon retour de voyage, je n’aurais pas été transparent. J’aurais censuré des choses, je n’aurais pas raconté tout ce que je pouvais faire ou dire quand j’étais là-bas. J’ai commencé dix ans plus tard à travailler sur Comment je ne suis pas devenu moine. À ce moment-là, j’avais le recul, et je pouvais rire de moi-même, de comment j’étais, et je pense que ça a donné un ouvrage plus authentique. Dans ce cas-là et dans Vers la tempête, je pense que ça a donné deux ouvrages plus authentiques et plus honnêtes justement que si je les avais faits le lendemain que j’avais vécu ces événements-là…
C’est clair que dans Comment je ne suis pas devenu moine, j’ai beaucoup ri, et dans Vers la tempête, j’ai beaucoup pleuré. En fait, c’est ça le making of de ces deux bandes dessinées-là (rires). J’ai beaucoup ri avec Comment je ne suis pas devenu moine parce que je riais de moi-même, de toutes les anecdotes de voyage absurdes et drôles, et tout ce que ça m’a fait réaliser. Je ne me comporte plus comme ça là, mais comment je pouvais réagir aux événements quand j’étais au Tibet, j’ai trouvé ça très drôle de dessiner ça… Vers la tempête, j’ai beaucoup pleuré, parce que, là, je parlais de ma famille, de mon père, de mon prof de karaté… Je dirais que ce qui m’a fait le plus pleurer dans Vers la tempête, sans vendre de punch, c’est la fin du livre. Le climax, puis le dénouement du livre. C’est ça qui m’a fait le plus pleurer, parce que c’était vraiment des émotions fortes pour moi. Vers la tempête, ça m’a fait faire beaucoup d’angoisse la nuit, parce que j’avais peur de ce que les gens allaient penser. Ça ne me dérange pas de parler de moi-même, par exemple quand je fais des mauvais coups ou quand je n’ai pas un comportement exemplaire, ça ne me dérange pas de dire, ben oui, je ne me suis pas toujours comporté correctement dans la vie, il y a des affaires que j’ai faites dans ma vie dont je ne suis pas fier, je n’ai pas peur de le dire. Mais quand ça concerne des gens qui ne sont pas moi, en l’occurrence les membres de ma famille, j’avais peur des réactions.
D’ailleurs, est-ce que les membres de ta famille ont lu l’album? Je ne sais pas si ton grand-père est encore vivant, ou si ta mère l’a lu… Quelle a été leur réaction?
Jean-Sébastien Bérubé : Mon grand-père est décédé, donc, il ne l’a pas lu. En fait, il est décédé avant que je commence à travailler sur ce livre-là. Le fait qu’il soit décédé m’a permis d’avoir l’esprit tranquille en ce qui le concerne, de ne pas avoir peur de montrer des affaires dans le livre… Avec ma mère c’est plus délicat, parce qu’elle est encore vivante. Mon éditeur avait besoin de l’autorisation écrite de ma mère pour le contenu du livre qui la concerne, Je suis donc allé chez elle à Rimouski, puis j’ai jasé avec elle, je lui ai dit ce qu’il y avait dans mon livre, puis je lui ai demandé « Es-tu à l’aise avec ça? ». Je lui ai dit « Je peux te le faire lire avant qu’il sorte », puis elle m’a dit qu’elle ne voulait pas le lire pour pas m’influencer, mais qu’elle était d’accord avec ce que je racontais. Elle a écrit une autorisation, elle l’a envoyée à mon éditeur, et Futuropolis et moi-même on était ben contents que ma mère donne son autorisation. Je sais que depuis que le livre est sorti, ma mère l’a acheté, mais elle ne l’a pas lu, parce qu’elle n’est pas prête à le lire encore, mais elle va le lire quand elle sera prête. Il y a la cousine de mon père qui l’a lu par contre, et elle m’a dit qu’elle avait trouvé ça super bon, puis elle m’a félicité. Elle m’a dit que j’avais fait preuve étonnamment de pudeur, tout en racontant la vérité crue dans mon livre, et elle m’a dit qu’elle avait été impressionnée par ça. Je suis content que la cousine de mon père, qui est la nièce de mon grand-père, m’ait dit ça.
Et sur quoi travailles-tu présentement? Quels sont tes futurs projets?
Jean-Sébastien Bérubé : Je viens juste de terminer un contrat de bande dessinée pour le collectif des Rendez-vous de la BD de Gatineau qui devrait sortir au mois de Novembre, mais c’est vraiment une courte bande dessinée de quatre pages, parce que c’est dans un collectif avec d’autres auteurs. En fait, j’ai deux gros projets de BD pour le futur. Le premier, c’est la suite de Vers la tempête. Je vais raconter mon voyage au Japon, puis ça va parler de ce que je disais tout à l’heure à propos de l’épuisement. Dans le fond, j’ai arrêté de pratiquer le karaté, parce que j’avais trop de blessures, et dans la suite, je vais raconter ça. Je vais encore parler de ma relation avec mon grand-père, ça va être la fin de ma relation avec lui dans le fond…
Sinon, j’ai un autre gros projet de BD qui me tient beaucoup à cœur. Depuis six mois, je fais partie d’une association qui vient en aide aux personnes qui bégaient, ça s’appelle ABC, l’Association Bégaiement Communication, et depuis que je fais partie de cette association-là, j’apprends tellement d’affaires sur le bégaiement, mais d’un point de vue scientifique. Je comprends beaucoup plus qui je suis. C’est tellement bénéfique pour moi, parce que l’ABC nous enseigne à accepter notre bégaiement comme étant quelque chose qui fait partie de nous, et quelque chose dont on ne devrait pas avoir honte. L’ABC travaille pour sensibiliser la société, parce que la société, surtout dans le marché du travail, fait beaucoup de discrimination envers les personnes bègues. Moi-même, je l’ai vécu avant de devenir auteur de bandes dessinées, j’ai été victime de discrimination à l’embauche, et l’ABC travaille là-dessus, à défaire les préjugés et les idées préconçues, briser les tabous, et démystifier tout ça. Donc, après la suite de Vers la tempête, mon projet de BD, ça va être une bande dessinée qui va expliquer aux gens c’est quoi le bégaiement d’un point de vue scientifique, et démystifier toutes les fausses croyances que j’ai entendues toute ma vie sur le bégaiement et qui ne sont pas vraies. Je vais raconter ça.
Vers la tempête, de Jean-Sébastien Bérubé. Publié aux éditions Futuropolis, 216 pages.