Une chaussure de course qui permet d’améliorer la performance des coureurs de 2 à 3%. Réalité ou coup de marketing? Depuis 2017, la petite dernière de la compagnie Nike fait jaser — et attire les athlètes de haut niveau. Le Détecteur de rumeurs analyse les données disponibles.
L’origine de la rumeur
Vers la fin de 2016, Nike avait mis en branle le projet Breaking2, qui se donnait pour objectif de passer sous la barre mythique des 2 heures au marathon (42,195 km). Un objectif ambitieux : le record du monde sur cette distance était alors de 2 heures 2 minutes et 57 secondes. Les marathoniens devraient donc retrancher près de trois minutes au meilleur chrono jamais réalisé par un être humain. Cela représente une vitesse de plus de 21 km/h, ou une moyenne de 2 minutes 50 par kilomètre.
Pour y arriver, la société américaine recrute trois marathoniens de calibre mondial, pour ensuite les aider à réaliser la meilleure performance possible lors d’une course non officielle taillée sur mesure pour eux. En parallèle, Nike travaille à la mise au point d’une chaussure, la Zoom Vaporfly Elite, qui se caractérise par une semelle en mousse très épaisse renfermant une plaque en fibre de carbone.
Selon les tests alors réalisés par la compagnie, cette chaussure permet d’améliorer « l’économie de course » de 4%. Avec la consommation d’oxygène maximale (VO2Max) et l’endurance, l’économie de course est l’un des principaux déterminants de la performance dans ce sport. En clair, la Vaporfly retourne davantage d’énergie à chaque foulée, améliorant ainsi la propulsion et le rythme de course.
Avantage confirmé
Une première tentative pour passer en dessous des 2 heures a lieu le 6 mai 2017 sur le circuit automobile de Monza, en Italie. Si deux des marathoniens recrutés déçoivent, le troisième, le coureur kényan Eliud Kipchoge, boucle alors le marathon le plus rapide de l’histoire – mais qui ne sera pas homologué par la Fédération internationale d’athlétisme, pour cause d’assistance extérieure – avec un temps de 2 heures et 25 secondes, ratant de peu l’objectif de Nike. Les Vaporfly qu’il chausse ce jour-là bénéficient d’un coup de pub en vue de la commercialisation de leur version « pour amateurs », le mois suivant.
Kipchoge abaisse la marque officielle à 2 heures 1 minute et 39 secondes, lors du marathon de Berlin en septembre 2018. Enfin, le 12 octobre 2019, à Vienne, il parvient à passer sous le seuil des 2 heures. Escorté par une armée de « lièvres », des donneurs d’allure, Kipchoge complète son marathon en 1 heure 59 minutes et 40 secondes. Dans les deux cas, il arbore une version améliorée des Vaporfly.
Entretemps, leur réputation de godasses révolutionnaires avait fait son chemin. Les Vaporfly étaient aux pieds de 31 des 36 coureurs ayant foulé un podium sur l’un des six marathons majeurs en 2019. Le New York Times avait analysé en 2018 les performances de 500 000 coureurs pour conclure que ceux qui en portaient couraient de 3 à 4 % plus vite que des athlètes du même niveau qu’eux. Des coureurs non commandités par Nike ont même porté des Vaporfly dont ils ont camouflé le logo.
Dopage technologique?
Selon une recherche préliminaire menée en 2018 auprès de 18 coureurs, comparativement à des chaussures de marathon conventionnelles, celle de Nike réduit bel et bien de 4% en moyenne la consommation d’énergie du marathonien, à une vitesse constante donnée (16 km/h). C’est donc autant d’énergie économisée que le coureur peut utiliser pour accroître sa rapidité.
Le secret de cette réduction résiderait dans la lame de carbone insérée dans la semelle, qui agirait comme un ressort qui se déforme avant de reprendre sa forme initiale. Concrètement, cela se traduit par une réduction des temps de course de l’ordre de 2 à 3% chez les coureurs de haut niveau, selon une autre étude menée en 2018 auprès de 24 coureurs.
Certains parlent dès lors de concurrence déloyale, voire de dopage technologique.
C’est ce qui a amené la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) à réviser ses règlements au début de 2020, à l’instar de ce qu’avait fait une décennie plus tôt la Fédération internationale de natation avec les combinaisons « magiques » de nage en polyuréthane. L’IAAF s’est cependant contentée de limiter l’épaisseur de la semelle des futures chaussures à quatre centimètres, en plus de mettre à la disposition de tous les coureurs, spécialement ceux qui ne sont pas commandités, des chaussures dotées des dernières avancées technologiques, dont les semelles à lame.
Il faut savoir que toutes les grandes marques de chaussures sportives, d’Adidas à Asics en passant par Saucony, proposent aujourd’hui leur version de la Vaporfly.
Cet avantage a cependant un prix. Au Canada, il en coûte actuellement 365$ pour se procurer un exemplaire de la chaussure de Nike. Une paire dite moins performante se détaille 330$. De quoi faire douter de l’accessibilité d’un sport comme la course à pied…