Intitulé Le jambon, le bouddha et le tourteau, le troisième et dernier tome de la bande dessinée The Shaolin Cowboy conclut en beauté la trilogie complètement iconoclaste et ultraviolente de l’artiste Geof Darrow.
Suite à une sanglante bataille contre des centaines, voire des milliers, de zombies, le Shaolin Cowboy est salement amoché, et à peine en meilleur état que les animaux écrasés sur le bord de la route où il gît. Se relevant de peine et de misère, il parvient à stopper le sang giclant de ses nombreuses blessures en bloquant les méridiens de son corps et se remet péniblement en marche, mais il est rapidement repéré par les drones du Crabe Royal, son ennemi juré cherchant à venger les membres de sa famille dévorés dans un buffet à volonté. Installé sur la tête de Shelley, une suprématiste blanche tatouée de croix gammées qu’il contrôle par la pensée, le crustacé se lance à nouveau aux trousses du héros qui, bien qu’il ne soit pas en mesure de se battre dans cette piteuse condition, devra à nouveau lutter chèrement pour sa vie, en affrontant une foule d’ennemis, dont les « toutous flingueurs », deux chiens dont les pattes du devant ont été remplacées par des couteaux, ou « Hog Kong », un gigantesque cochon passé maître dans l’art du ninjutsu.
Sorte de John Wayne bouddhiste passant son temps à repousser les attaques de ceux dont il a provoqué le courroux, le Shaolin Cowboy n’est pas un héros typique, et débordant de violence extrême et d’humour noir, la trilogie de Geof Darrow constitue un bel OVNI dans le paysage de la bande dessinée. Ne présentant qu’une seule et longue bataille contre des morts-vivants, le deuxième volume (lire notre critique ici) était un peu décevant malgré ses prouesses graphiques, mais en délaissant les paysages désertiques en faveur des rues du « Texis », ce troisième et dernier tome offre un miroir à peine déformé de la culture américaine. Les rednecks de droite boivent des bouteilles d’urine de Trump pour se désaltérer, le sexe, la surconsommation et les armes à feu sont omniprésents, et même au volant de leurs voitures ou au beau milieu d’une fusillade, les citoyens ont le nez collé à leurs téléphones intelligents et publient des photos sur les réseaux sociaux, dans une quête désespérée pour obtenir des « likes ».
Geof Darrow livre un délire visuel d’une virtuosité sans pareil dans The Shaolin Cowboy, où les simples scènes de combat se transforment en véritable ballet sanglant. Dans une scène évoquant le film Old Boy par exemple, le héros empoigne deux chiens par la queue avant de s’en servir comme des nunchakus contre des dizaines d’adversaires dressés devant lui. En plus de dépeindre un univers singulier, avec des détritus recouvrant tous les décors, une Beetle munie de pattes de crabe ou des chats fumant tranquillement des cigarettes, chacune de ses cases regorge d’une quantité impressionnante de détails, et il vaut la peine de s’attarder aux enseignes ou aux réclames peuplant ses images, avec des commerces comme God Mart, Gas Bitch ou Gun Barn, des réclames pour Visa Hutt (qui offre du crédit et de la pizza) la boutique Vagina Repair, ou une affiche pour un usurier achetant « de l’or et des organes ». L’album se termine sur une galerie de dessins, où plusieurs bédéistes célèbres ont repris le personnage à leur façon, dont Moebius, Mike Mignola ou Kevin Nowlan.
Rarement a-t-on vu une bande dessinée aussi déjantée que The Shaolin Cowboy, et avec cette trilogie hors-norme, Geof Darrow se démarque comme le plus original des bédéistes de cette génération.
The Shaolin Cowboy, Tome 3: Le jambon, le bouddha et le tourteau de Geof Darrow. Publié aux éditions Futuropolis, 144 pages.