Les élèves sont de retour en classe ou derrière leurs écrans. Et de nombreux chercheurs n’ont pas caché leurs inquiétudes. « Je crains pour le second bulletin. Il y a eu la très longue glissade au printemps, les pertes de temps d’apprentissage à l’automne. Ce bulletin sera plus difficile à rattraper pour de nombreux élèves qui sont déjà en difficulté », résume le psychologue et spécialiste de la réussite et de l’adaptation scolaire, Égide Royer.
Pour leur apprentissage, les jeunes ne sont pas tous égaux face à la COVID-19 (comme on le soulignait déjà ici). Le retrait du bulletin d’automne, s’il a permis de libérer du temps pour les enseignants, sanctionnera plus lourdement les élèves en difficultés qui ne disposeront que d’un seul bulletin pour remonter leurs notes et réussir leur année.
Or, au public comme au privé, l’offre de services scolaires aux plus vulnérables a chuté et les retards s’accumulent, tout comme la démotivation et l’absentéisme. « Tout le monde est dépassé, il y a des retards en lecture chez les plus jeunes, une hausse des problèmes comportementaux et émotifs, de la démotivation et du décrochage au secondaire », relance l’expert.
Égide Royer rappelle que le taux de décrochage des élèves québécois montrait une légère remontée ces dernières années, particulièrement dans les milieux défavorisés – avec un taux de 13,6% en 2017-2018 contre 13 % en 2015-2016 – une remontée qui se faisait sentir chez les filles comme chez les garçons. L’écart de 10 points de pourcentage entre les milieux favorisés (84% de réussite pour la cohorte de 2012) et ceux défavorisés (73%) risque de s’accentuer à cause de la pandémie et de mener à des échecs.
Une rentrée scolaire difficile
La rentrée scolaire de septembre a été particulièrement difficile, comme en témoignait le colloque Bilan d’une rentrée scolaire en contexte de pandémie. Cette rentrée a révélé plus que jamais les iniquités et les inégalités chez les élèves.
« C’est une atmosphère pesante qui touche tout le monde : jeunes et adultes, tous vivent de l’inquiétude, jusqu’à la vaccination des enseignants et du personnel scolaire dont on n’a pas beaucoup parlé », soutient Thérèse Laferrière, responsable du réseau PÉRISCOPE, une plateforme d’échanges entre chercheurs et praticiens de l’enseignement.
Ce regroupement a organisé plusieurs panels sur les inégalités en temps de COVID-19. Si les problèmes techniques de l’apprentissage en ligne semblent maintenant réglés, restent ceux qui touchent à l’apprentissage et à la gestion de classe.
Comment garder l’engagement des élèves? « C’est la grande question», relève Mme Laferrière. Pour elle, il importe de s’attaquer aux problèmes pédagogiques rencontrés par les enseignants – organisation du cours, évaluation, difficultés à motiver les jeunes, etc.
Co-auteure du guide L’École en temps de pandémie – favoriser le bien-être des élèves et des enseignants, la professeure Garine Papazian-Zohrabian, de l’Université de Montréal, s’est questionnée sur la nécessité d’outiller le personnel enseignant sur les deuils à faire et les manières de surmonter les épisodes traumatisants.
« Il importe de les outiller pour l’adaptation en ligne de l’enseignement, tout en leur donnant des stratégies pour cultiver la résilience et la bienveillance chez eux et chez les jeunes», note la chercheuse.
Pour cela, il faut renforcer la relation éducative entre les élèves et leur enseignant, même à distance, et celle entre les pairs, en offrant des espaces d’expression et de communication. « S’il n’y a pas de lien ni d’alliance, les élèves en difficulté décrochent », sanctionne la Pre Papazian-Zohrabian.
Construire en vol
« C’est comme construire un avion en vol en changeant de plan toutes les 3 semaines. Il faut pouvoir s’adapter à la crise en enlevant le superflu, comme les examens du ministère, pour se concentrer sur les matières importantes du curriculum », explique Patrick Charland, professeur au Département de didactique de l’UQAM et cotitulaire de la Chaire UNESCO de développement curriculaire.
Le chercheur et son équipe tentent d’évaluer les conséquences de la COVID-19 sur le système scolaire du Québec, avec une recherche lancée en septembre dernier. Soutenue entre autres par le ministère de l’Éducation, elle vise à sonder l’effet des mesures sanitaires sur les pratiques pédagogiques mais aussi sur les notes et la réussite.
Certaines années s’avèrent plus cruciales que d’autres, explique le chercheur. « Cela va dépendre du profil de l’élève, mais on s’attend à voir des changements sur la performance scolaire pour les élèves de 3e année du primaire qui se ressentiront jusqu’en 2025, par exemple en lecture et écriture. »
À lui seul, le long arrêt scolaire du printemps (trois mois) risque d’affecter les apprentissages. « Il va y avoir des pertes à rattraper en français et en mathématiques et pour toutes les notions plus complexes, comme les sciences au secondaire. Cela risque de toucher en premier les plus vulnérables, ceux des milieux défavorisés, et ceux qui ont plus de difficultés à l’école », rappelle le Pr Charland.
Un récent rapport de la Banque mondiale avance que cette fermeture temporaire des écoles, alliée à la crise économique, aura des coûts à long terme pour l’éducation des plus défavorisés. Les précédentes crises financières ont démontré que l’éducation subissait un recul, avec une hausse d’abandons.
Maintenir les écoles ouvertes, en dépit de la seconde vague, pourrait donc minimiser les impacts. « La réouverture des écoles constitue une priorité pour le bien-être des jeunes, ce qui joue aussi sur leur motivation scolaire », croit l’expert.
Sans compter que l’école assure un rôle plus large que l’instruction chez les plus vulnérables, par exemple en fournissant des repas à moindre coût et des professionnels susceptibles de les accompagner. Des services qui n’étaient pas disponibles en septembre et qui manquent encore, cinq mois plus tard.
Du côté des directions
En mode réaction, les directions scolaires sont parvenues à garder le fort. « Peu préparées, elles ne s’en sortent pas si mal avec les nombreux changements qu’il a fallu absorber en si peu de temps », relève le Pr Jean Bernatchez, de l’Université du Québec à Rimouski.
Le chercheur s’est lui aussi intéressé à la gestion de la crise sanitaire en milieu scolaire, plus particulièrement le vécu des directions d’établissements. Il remarque ainsi que les trois premiers mois ont été un peu chaotiques car les directions d’écoles manquaient cruellement d’informations.
Le plus dévastateur a été l’annonce du ministre sur les 15 jours de congé. « Cela a été un irritant pour les directions qui ont dû composer avec un manque de mobilisation du personnel et des élèves», relève le chercheur.
Il y a eu aussi des écarts entre ce qui était annoncé et ce qui se vivait dans les écoles. Ainsi, les camps pédagogiques, une mesure de soutien pour les élèves défavorisés, n’ont jamais vu le jour. « Ce n’était pas possible: ce type de soutien, ça prend du temps à mettre en place », soutient encore Jean Bernatchez.
Pour la suite des choses
Il aura tout de même fallu presque un an d’atermoiements pour réviser à la baisse l’apprentissage et son évaluation. Dans un communiqué le 8 janvier, le ministère de l’Éducation du Québec a annoncé entre autres que les écoles peuvent, si elles le désirent, repousser le premier bulletin du 22 janvier au 5 février avec une pondération à la baisse. De plus, les examens du ministère seront annulés, tant au primaire qu’au secondaire.
De son côté, Égide Royer pressait le gouvernement de prendre au plus vite des actions structurantes, comme un système de mentorat rémunéré pour les élèves, assuré par un étudiant du collégial, ainsi qu’une personne responsable de la réussite scolaire qui serait chargée de maintenir le lien entre les jeunes en difficulté et l’école. Cette personne permettrait aussi de dégager les psychologues et les orthopédagogues des tâches de suppléance et de surveillance, pour qu’ils consacrent tout leur temps à aider les jeunes les plus vulnérables.
Avec l’annonce du 8 janvier, il semblerait qu’il ait été entendu, du moins en ce qui concerne le mentorat : le ministère crée une banque de tuteurs et de ressources psychosociales en ligne. « Il faut prendre des mesures dès à présent si nous ne voulons pas de génération sacrifiée. Pour que la COVID-19 ne soit qu’un souvenir pour les jeunes et pas un handicap pour leur scolarité », soutient l’expert.
La manière dont tout le monde aura traversé la crise va influencer le retour à l’école des jeunes. « Actuellement, tout le monde est en mode survie. Lorsqu’on va sortir de cet épisode, le vécu va sortir avec toutes les tensions accumulées. Il va falloir s’occuper de ça aussi », convient la Pre Papazian-Zohrabian. Car il y aura un après-pandémie qui sera tout sauf « normal ».
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