Les amateurs canadiens d’exploration spatiale ont eu droit à un cadeau de Noël: un astronaute canadien ferait partie de la première mission américaine à retourner en orbite autour de la Lune, en 2023. Le Détecteur de rumeurs explique pourquoi 2023 est en réalité très incertain.
L’origine de la discussion
En mars 2019, la NASA — l’agence spatiale américaine — créait la surprise en annonçant qu’elle devançait de quatre ans, soit de 2028 à 2024, la date de sa première mission habitée sur la surface lunaire depuis un demi-siècle. Cette annonce était la réponse à un défi lancé par la Maison-Blanche, qui reprochait alors à l’agence d’être devenue trop « complaisante ».
La fusée qui devra amener les astronautes là-haut, appelée SLS (Space Launch System) était d’ores et déjà en préparation, de même que la capsule Orion, qu’occuperont les astronautes. Mais devancer tout cela de quatre ans signifie qu’il faut court-circuiter les étapes: le premier vol d’essai de la fusée SLS, sans astronaute, doit avoir lieu à la fin de 2021, et le premier vol habité jusqu’à l’orbite lunaire — sans débarquement sur la Lune — en 2023. C’est à ce dernier voyage, appelé Artemis 2, que prendrait part un astronaute canadien et c’est ensuite lors d’Artemis 3, en 2024, que deux astronautes américains débarqueraient sur la Lune.
Or, pour respecter ce calendrier, il faudra surmonter trois très gros obstacles.
1) La fusée SLS n’est pas encore prête
Comme à l’époque des fusées Apollo, SLS sera coiffée d’une capsule en forme de cône, à l’intérieur de laquelle logeront les astronautes. Celle-ci, Orion, est déjà assemblée et le premier vol sans occupants doit servir à tester, entre autres choses, l’équipement de régulation de la température et de l’air qui doit maintenir en vie les astronautes.
Mais pour se rendre jusqu’à la Lune, il faut une fusée beaucoup plus puissante que celles qui mettent en orbite des satellites. Or, la nouvelle SLS, en préparation depuis 2011, a subi de multiples retards et dépassements de budgets: de 10 milliards$ prévus à l’origine, le projet approchait les 15 milliards à la fin de 2019, et pourrait dépasser les 18 milliards avant même son premier vol.
Le mois dernier encore, les tests du moteur ont dû être interrompus deux semaines, en raison de problèmes du côté « des équipements d’alimentation du réservoir », a écrit la NASA. C’était le 7e d’une série de huit tests, qui ont occupé la majeure partie de 2020. Le dernier est prévu pour le 17 janvier et, si tout va bien, le moteur et tous les équipements qui l’accompagnent seront ensuite déménagés en Floride pour procéder à l’assemblage de la fusée. Son premier voyage, sans humains à bord, reste donc officiellement prévu pour novembre 2021. Mais le magazine Technology Review donnait le 4 janvier à ce calendrier une chance de succès de… un sur 10.
2) Les budgets ne sont pas à la hauteur
Lorsque le président John F. Kennedy avait lancé, en mai 1961, son célèbre appel à ce que des Américains débarquent sur la Lune avant la fin de la décennie, le budget de la NASA avait doublé, puis encore doublé l’année suivante, puis encore augmenté, jusqu’à atteindre, en 1965, environ 4,5 % du budget total du gouvernement américain, ou 42 milliards en dollars d’aujourd’hui.
Dans sa dernière proposition de budget, déposée en septembre, la NASA évaluait qu’il en coûterait 28 milliards$, entre 2021 et 2025, pour respecter l’échéance de 2024. Dont 16 milliards uniquement pour le module d’alunissage (Human Landing System), pour lequel trois compagnies espèrent actuellement être choisies.
Or, on en est loin: en décembre, dans le budget du gouvernement fédéral adopté pour la prochaine année, 850 millions ont été alloués au développement du module d’alunissage.
Et c’est sans compter les missions suivantes : avant que l’échéance ne soit devancée de 2028 à 2024, le programme de retour sur la Lune faisait état de plusieurs missions en vue de la construction d’un habitat permanent, et d’une station en orbite, Lunar Gateway, destinée à servir de carrefour pour ces allers et retours.
C’est d’ailleurs dans ce contexte de budgets serrés que se situe l’annonce canadienne: ce pays s’engage à construire le « système robotisé externe » de la station Lunar Gateway — l’équivalent du « bras canadien » de l’actuelle station spatiale — et, en échange, obtient une place pour un de ses astronautes.
3) Un changement de gouvernement
Il a toujours été clair que l’échéance de 2024 était une exigence politique du gouvernement Trump. Rien ne garantit que le nouveau président, Joe Biden, aura le même intérêt à précipiter les choses. En fait, notent les experts en politiques spatiales, à deux reprises depuis 30 ans, des présidents républicains ont annoncé une reprise du programme lunaire : George Bush père en 1989 et George Bush fils en 2004. Chaque fois, les projets sont morts dans l’œuf, faute d’un financement adéquat.
Verdict
Mitigé. La route vers des missions lunaires reste tracée, mais l’échéance de 2024 semble irréaliste.