Pour sa toute première bande dessinée, l’auteure et illustratrice québécoise Mireille St-Pierre a choisi de se livrer sur un ton très personnel, en abordant sa propre expérience de deuil périnatal dans La brume.
La brume raconte l’histoire de Myriam, une illustratrice insécure qui a toujours peur de se faire critiquer et de se faire démolir. Apprenant qu’elle est enceinte d’une fille qu’elle a l’intention de nommer Romane, la jeune femme est aux anges, et quand son copain, Jules, décroche un contrat à New York pour photographier les sessions d’enregistrement d’un groupe de musique, elle décide de l’accompagner. Tandis que Jules prend des clichés au studio, Myriam en profite pour explorer la ville et faire quelques croquis dans son carnet, mais un beau soir, elle se réveille dans des draps tachés de sang, affligée par de douloureuses crampes. Transportée d’urgence à l’hôpital, Myriam accouche prématurément d’un bébé mort-né, et cet événement bouleversera la vie du couple, qui devra réapprendre à vivre ensemble.
En octobre 2017, suite à un accouchement prématuré, Mireille St-Pierre a perdu la petite fille qu’elle attendait, et cette expérience lui a inspiré La brume. Je présume que de raconter ce tragique événement en bande dessinée constitue une façon de l’exorciser, mais l’artiste fait tout de même preuve d’une très grande générosité, en partageant avec le public l’intimité d’un moment aussi difficile qui, on le devine facilement, cause une douleur autant physique qu’émotionnelle. En plus de traiter du deuil périnatal, un sujet rarement abordé, cette histoire très personnelle et émouvante permet de comprendre ce que ressentent les femmes qui traversent une telle épreuve entre la culpabilité, l’immense sentiment de vide, et la difficulté de renouer avec son partenaire amoureux, et avec l’existence en général.
Malgré la mélancolie traversant le récit, La brume emprunte un ton poétique, et ne sombre jamais dans le misérabilisme. S’ouvrant sur quelques strophes de Nick Cave et présentant en toile de fond l’enregistrement d’un album dans un studio de Brooklyn, la bande dessinée est portée par la musique qui, comme dans nos vies, accompagne les grands moments de joie ou de déprime, et les paroles de chansons se superposant aux images sortent souvent des cases. Oasis joue dans la voiture quand le couple quitte Montréal, la pièce First We Take Manhattan de Leonard Cohen souligne leur arrivée à New York, et That’s No Way to Say Goodbye du chanteur montréalais conclut en beauté ce livre, en symbolisant les adieux que la mère doit faire à cet enfant qu’elle n’a pas eu la chance de connaître.
Les dessins dans La brume sont stylisés, presque minimalistes, ce qui ne les empêche pas d’être remplis de charme. Malgré des traits simplifiés, avec des points en guise d’yeux et une simple ligne pour la bouche, les personnages sont très expressifs. Mireille St-Pierre capture les ambiances avec brio, et sa coloration subtile et délavée, évoquant une fin d’après-midi d’automne alors que les objets luisent vaguement dans la pénombre qui s’installe, contribue énormément à l’atmosphère de la bande dessinée. Parfois, elle ne pose qu’une seule case noyée dans une page blanche, et contrairement au reste de l’album, les illustrations dépeignant la fausse couche à l’hôpital sont imprimées sur fond noir. On compte aussi plusieurs paysages féériques, dont le pont Jacques-Cartier sous un ciel étoilé, ou le banc de parc donnant sur le Queensboro Bridge à Brooklyn et immortalisé par Woody Allen dans le film Manhattan, qu’elle reprend à sa façon.
Mireille St-Pierre rend un hommage vibrant à sa fille partie trop vite avec La brume, et ceux et celles qui apprécient les bandes dessinées débordant d’émotion et d’humanité seront interpelés par cet album intimiste, et très émouvant.
La brume, de Mireille St-Pierre. Publié aux éditions Nouvelle adresse, 200 pages.