« J’avais l’impression d’être un échec complet, parce que je ne mène pas de recherches visant à guérir la COVID. » Une réaction apparemment répandue depuis quelques mois, note un reportage de la revue britannique Nature.
D’aucuns appellent cela la « covidisation »: l’impact qu’a la pandémie sur la façon dont la science est financée par les gouvernements, produite par les chercheurs, publiée et perçue. Le terme est attribué à Madhukar Pai, un expert de la tuberculose à l’Université McGill, dans une lettre d’opinion qu’il avait publiée dès avril. Il s’y inquiétait du risque de voir des organismes subventionnaires à travers le monde, des agences de santé publique et des chercheurs, se mettre à trop vouloir se concentrer sur des menaces virales, au détriment d’autres facteurs tout aussi importants pour la santé publique.
La bonne santé est fonction d’un spectre de problèmes, depuis les déterminants sociaux de la mauvaise santé (par exemple, la pauvreté) jusqu’au fardeau croissant des maladies non transmissibles. En fait [ces dernières] vont probablement dominer dans les prochaines années, même dans les pays à faibles revenus. Les changements climatiques sont une autre menace imminente qui mérite une attention urgente et de la recherche.
Certes, la « covidisation » a aussi du bon. Des millions de dollars de fonds spéciaux ont été débloqués en un temps record pour des recherches allant de la génétique de ce virus jusqu’aux séquelles à long terme de la maladie en passant par les effets des inégalités sociales sur la pandémie. Le reportage de Nature évalue que les 137 millions d’euros accordés par la Commission européenne à la recherche sur la pandémie, représentent davantage que ce qu’elle avait attribué en 2018 aux recherches sur le sida, la tuberculose et la malaria combinées.
Mais des secteurs vont inévitablement en souffrir incluant, paradoxalement, des secteurs liés à la santé publique.
Outre cela, il y a un autre problème: ce déluge d’efforts conduit à un déluge de « pré-papiers » publiés dans l’urgence mais qui, en temps normal, n’auraient pas atteint cette étape de la « pré-publication ». La bioéthicienne Katrina Bramstedt, de l’Agence du Luxembourg pour l’intégrité de la recherche recensait, en date du 31 juillet, 19 articles publiés et 14 pré-publiés — tous autour de la COVID — qui avaient dû être retirés, ou être accompagnés d’un avertissement (expression of concern). C’est peu par rapport aux milliers d’articles produits, mais c’est beaucoup pour un sujet aussi jeune et aussi lourd de conséquences à l’échelle planétaire.
Qui plus est —impact direct de cette redirection des priorités— une partie de ces articles trop vite publiés provient « d’experts instantanés », écrivait en juin Matthias Egger, président du Conseil national de recherche de Suisse : c’est-à-dire des scientifiques d’autres disciplines qui ont cru bon d’apporter leur expertise à l’épidémiologie. Surfant lui aussi sur l’expression « covidisation », Egger ironisait ainsi: « des collègues qui ont passé toute leur carrière académique très loin des virus et des inflammations pulmonaires se sont soudain miraculeusement découverts être eux-mêmes des experts ».