Si vous n’avez jamais lu Des souris et des hommes de John Steinbeck, l’adaptation en roman graphique par l’illustratrice Rébecca Dautremer constitue l’occasion parfaite pour découvrir cet immense classique de la littérature américaine.
George Milton et Lennie Small, deux amis d’enfance, rêvent de posséder leur propre lopin de terre et d’y vivre paisiblement, mais dans l’Amérique des années 1930, alors que sévit la Grande Dépression, ils sont réduits à parcourir la Californie à la recherche de petits boulots pour survivre. Malgré la débrouillardise de George, les deux amis sont souvent chassés de leur lieu de travail puisque Lennie, un colosse capable de soulever des charges de 400 livres, est un simple d’esprit qui aime caresser les choses douces, notamment les petits animaux à fourrure, et comme il ignore sa force, il tue souvent les souris, lapins ou chiots qu’il flatte. À Soledad, ils se font embaucher sur un ranch où le fils du patron, un certain Curley, est un boxeur teigneux dont la nouvelle épouse fait de l’œil à tous les employés masculins, et lorsque cette dernière commence à s’intéresser à Lennie, George pressent les problèmes, mais décide de rester le temps de gagner un peu d’argent. Malheureusement, les événements lui prouveront que ses craintes étaient fondées.
Ce n’est pas une adaptation en bande dessinée que propose Des souris et des hommes, mais bien le texte intégral de John Steinbeck, illustré de main de maître par la très talentueuse Rébecca Dautremer, ce qui en fait, dans le plus pur sens du terme, un roman graphique. Avec pour toile de fond la Grande Dépression, l’histoire de George et Lennie est à la fois triste et attachante, et l’amitié unissant ces deux hommes bien différents dans une Amérique où les faibles, les vieillards, les malades et autres « inutiles » sont livrés à eux-mêmes et abandonnés, est absolument bouleversante. Bien qu’il ait été publié en 1937, ce récit traitant de la misère humaine, de la pauvreté qui engendre le chacun-pour-soi et la solitude, du racisme envers les Afro-Américains, et surtout du rêve, dernier refuge des hommes n’ayant ni famille, ni maison, ni futur, n’a rien perdu de sa pertinence ou de sa force, et mérite encore amplement d’être lu plus de quatre-vingt ans après sa parution originale.
Des souris et des hommes est un livre sublime, suscitant l’émerveillement à chaque page. La plupart des planches contiennent quelques paragraphes du roman de Steinbeck, flottant à travers des illustrations majestueuses effectuées au crayon et à la gouache. À l’exception des visions de Lennie, croquées dans un style naïf, les images réalisées par Rébecca Dautremer revêtent une élégance et un réalisme plus proche de l’œuvre d’art que de la bande dessinée. Galerie de portraits, cartes à jouer où les figures sont remplacées par les personnages de l’intrigue, séries de vignettes découpant le mouvement d’un lapin ou le vol d’un héron, vieilles réclames des années 1930 pour des salopettes, du liniment ou du poison à rats, paysages du Sud des États-Unis où la texture des arbres, des murs des maisons ou des cieux est composée de centaines de fines lignes, le roman graphique se présente comme une sorte de croisement entre l’album de photos jaunies, le livre de contes, le carnet de croquis, et le scrapbook. Il s’agit vraiment d’un ouvrage d’une grande beauté visuelle.
Des souris et des hommes est un monument de la littérature moderne qui mérite d’être lu au moins une fois dans sa vie, et cette version, magnifiquement illustrée par Rébecca Dautremer, apporte un nouveau souffle à l’œuvre phare de John Steinbeck.
Des souris et des hommes, de John Steinbeck et Rébecca Dautremer. Publié aux éditions Alto, 420 pages.