Il y a toujours quelque chose de particulièrement dérangeant et inquiétant, dans l’univers de la série The Boys. L’oeuvre, quelque peu ironiquement diffusée sur Amazon Prime, explore après tout un monde où les superhéros sont non seulement bien réels, mais où ils représentent généralement le pire de l’humanité, sous la commande d’une mégacorporation. La deuxième saison, qui s’est terminée récemment, pousse ce concept à l’extrême, tout en le ramenant à ses origines.
Il va de soi que de véritables superhéros représenteraient un cauchemar pour toute société normalement constituée. Des gens quasiment inarrêtables, et qui donc sentent qu’il n’est pas nécessaire de respecter les lois ou les forces de l’ordre, et qui plus est, pouvant être sujets à de vives crises de colère, notamment en raison de leur ego surdimensionné. Lorsque vous êtes plus fort, plus rapide, voire plus intelligent que les autres humains, n’êtes-vous pas un surhumain?
Adaptée de la bande dessinée du même nom, The Boys met en vedette Hughie (adorable et gaffeur Jack Quaid), dont la petite amie a littéralement été désintégrée par A-Train, un héros capable de courir à une vitesse incroyable, qui était sous l’emprise d’une violente drogue appelée Compound V.
Abattu par la peine et le deuil, Hughie sera recruté par Butcher (Karl Urban qui non seulement provoque des émotions avec sa barbe, mais semble aussi s’amuser follement à jouer les hommes n’ayant rien à perdre) pour tenter de faire tomber les Seven, soit les sept superhéros les plus connus – les poulains de Vought, la super-entreprise ultrapuissante qui fait tout pour mousser sa publicité… et faire disparaître les ennuis.
L’ironie, bien entendu, est que si The Boys vient notamment parodier à l’extrême les superhéros de Marvel (et Disney), avec une version non seulement psychotronique des Avengers, mais aussi avec une vision extrêmement violente et consumériste de l’Amérique, les agissements de Vought évoquent bien entendu Amazon et son président, Jeff Bezos.
En fait, la série ne présente vraiment rien pour faire une grande différence avec la réalité chez nos voisins du Sud, probablement, mais dans The Boys, la violence est partout, en flirtant régulièrement avec la gratuité, mais sans jamais tomber dans l’excès. Plutôt que de nous présenter des batailles bien propres entre superhéros sur le tarmac d’un aéroport (aéroport qui a été évacué à l’avance, s’il vous plaît), la série multiplie les dommages collatéraux, souvent, même, au bon plaisir des héros censés protéger la veuve et l’innocent.
À ce sujet, le personnage de Homelander, un mélange de Captain America et de Judge Dredd sur les stéroïdes, rappelle aussi le roi Joffrey, dans Game of Thrones, pour ses pulsions meurtrières. Un ego titanesque, un complexe messianique et des superpouvoirs très développés: que pourrait-il arriver de mal?
La première saison avait déjà repoussé les limites en matière d’analyse socio-économique d’une Amérique sclérosée; la deuxième fait quelque pas de plus, notamment avec une explication claire du phénomène qui sous-tend, pour l’instant, l’ensemble de la série, soit le message à propos de la supériorité des Américains sur les autres nations. De là à clamer la supériorité d’une couleur de peau sur une autre, il n’y a qu’un pas, et si les héros de Vought étaient déjà clairement campés à droite, avec l’utilisation de la violence et la justification du meurtre pour régler des situations, plutôt que de s’attaquer aux causes sous-jacentes de cette criminalité, l’arrivée d’une nouvelle héroïne fera définitivement tomber les masques: le concept d’individu supérieur est fondamentalement fasciste.
Si cette deuxième saison donne parfois l’impression d’aller un peu vite, notamment avec ce passage par un « hôpital » bien spécial qui aurait probablement mérité une saison à lui seul, The Boys tient franchement bien le cap, et on se prend à se demander, parfois, s’il existe véritablement une bonne personne dans cet univers où tout le monde ment, trahit, se tourne vers la violence et défend d’abord ses intérêts. À voir, ne serait-ce que parce que le visionnement est cathartique à souhait.