Mélangeant fiction et réalité historique, la bande dessinée Black Squaw permet de découvrir Bessie Coleman, une femme hors du commun qui, dans l’Amérique des années 1920, a combattu le racisme et le sexisme afin de réaliser son rêve de devenir aviatrice.
Dans les années 1920, la prohibition règne aux États-Unis, ce qui n’empêche pas les criminels d’utiliser toutes sortes de stratagèmes afin de fournir de l’alcool aux citoyens assoiffés. À Chicago, Al Capone possède même sa propre flotte aérienne, et parmi les pilotes à son emploi se trouve une aviatrice noire et amérindienne du nom de Bessie Coleman. Après avoir bravé la tempête lors d’une livraison de contrebande entre l’archipel de Saint-Pierre et l’Illinois, l’hydravion de la jeune femme est lourdement endommagé. Puisque les réparations doivent prendre au moins une semaine, elle profite de ce répit pour retourner à Waxahachie, dans son Texas natal. Durant un vol à bord de son Curtiss JN-4 personnel, elle tombe nez à nez avec un avion du KKK larguant des tracts de recrutement depuis les airs. Enragée, elle fonce sur l’appareil, qui s’écrase au sol. Bessie se retrouvera alors dans la mire du Klan, à la recherche de la personne responsable de l’accident.
La bande dessinée Black Squaw propose une fiction inspirée de fait réels et de personnages ayant vraiment existé, à commencer par son héroïne, Bessie Coleman. Née au Texas en 1892 d’un père Cherokee et d’une mère afro-américaine, cette pionnière rêvait d’être aux commandes d’un avion, car « là-haut, dans les nuages, il n’y a plus aucun préjugé ». Comme les écoles de pilotage américaines étaient exclusivement réservées aux hommes blancs à cette époque, c’est en France qu’elle étudiera et obtiendra finalement sa licence d’aviatrice. Bien que le frère de Bessie ait effectivement été le cuisinier personnel d’Al Capone, un homme qui, malgré ses nombreux défauts, n’avait pas celui d’être raciste puisqu’il avait lui-même goûté à la discrimination dans sa jeunesse en raison de ses origines italiennes, la portion de l’histoire où Bessie aurait travaillé pour le célèbre caïd relève de l’imagination du scénariste Alain Henriet.
À la fois amérindienne et afro-américaine, Bessie Coleman a évidemment connu le racisme toute sa vie. Un enfant du Texas, étonné de la voir piloter un avion, lui dira d’ailleurs candidement dans une case « Avec ta peau, t’as plutôt la couleur à vivre courbée dans les champs de coton plutôt que d’jouer à saute-mouton dans les nuages! ». La bande dessinée prend toutefois la liberté de personnifier cette lutte contre la discrimination raciale en opposant la jeune femme au Klan. L’organisation comptait cinq millions de membres dans les années 1920, et le président américain de l’époque, Woodrow Wilson, possédait des affinités marquées avec le groupe, ce qui explique qu’il ait pu agir en toute impunité. Si, dans les faits, Bessie Coleman n’a jamais forcé l’écrasement d’un avion du KKK, il est tout de même réjouissant de voir cette femme sans peur s’opposer à ces bigots intolérants.
Dans la tradition de la ligne claire, les illustrations de Black Squaw sont limpides, réalistes, et ultra-précises. Non seulement le dessinateur Yann livre-t-il une Bessie Coleman pétillante et ravissante avec ses pantalons d’équitation et sa veste d’aviateur, mais il s’est visiblement beaucoup documenté sur les avions, les voitures, les bateaux et les locomotives des années 1920, qu’il reproduit dans le moindre détail, des mécanismes des moteurs en passant par la rouille et la boue recouvrant les wagons des trains. Il donne à la plupart de ses scènes des angles très dynamiques, et ses paysages de Saint-Pierre, où le vert de l’archipel se conjugue à la grisaille de l’océan, sont époustouflants. L’album se conclut sur un dossier de quelques pages expliquant plus en profondeur le parcours de Bessie Coleman, les Lighthorse (la police indienne dont son père faisait partie), ainsi qu’un historique du KKK.
Tout en prenant certaines libertés avec le personnage de Bessie Coleman, la vie de cette femme ayant vécu au siècle dernier est toujours aussi inspirante, et en cette ère marquée par le mouvement Black Lives Matter, Black Squaw est une série bien de son temps, dont on a très hâte de lire la suite.
Black Squaw, Tome 1: Night Hawk, de Henriet et Yann. Publié aux éditions Dupuis, 56 pages.